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23 juillet 2012 1 23 /07 /juillet /2012 19:06

Héritiers des prophètes

Les érudits prétendent être les héritiers des prophètes. Mais aujourd'hui ce sont les Soufis, ces authentiques hommes de Dieu, qui sont les héritiers. Heureux dans le dénuement, généreux envers les êtres, ne les trompant jamais et les éclairant sans rien attendre en retour, ils considèrent le bien et le mal comme l'expression de la volonté divine. Ils ne cultivent pas la haine. Ils ne sont pas prisonniers du temps. Les phénomènes qui terrorisent les autres les laissent impassibles. (Kharaqani)

 

Au cœur du Soufi

Dieu a glissé un je sais quoi de Lui au cœur du Soufi. Si tu demandes : « Incarnation ? », je répondrai seulement :  « Lumière. » (Kharaqani)

 

La mort dans la vie

Un Soufi est quelqu'un qui n'existe pas.

Être un Soufi signifie que Dieu te fait mourir à toi-même pour te faire vivre en Lui. (Junayd)

 

Miracle et merveille

Un homme qui vend du miracle afin d'être adulé n'est qu'un charlatan.

Celui qui le lui achète, même s'il n'aboie pas, n'est qu'un chien.

Un Soufi n'a nullement besoin de trafiquer dans le merveilleux.

Il est en lui-même la merveille des merveilles ! (Abdurahman Jami)

 

Le misérable

Shebli chemine au désert en compagnie de ses disciples, quand ils découvrent un crâne portant cette inscription :

« Ce misérable aura perdu ce monde-ci ainsi que l'autre. »

- Ce devait être un prophète ou un saint, quelqu'un qui a trouvé Dieu, murmure respectueusement Shebli.

- Comment cela ? s'exclament les disciples, interloqués.

- Faute d'abandonner aussi bien l'autre monde que celui-ci, comme l'a fait ce sage, répond Shebli, nul ne saurait atteindre Dieu.

 

L'imprévoyance

Pleurs amers d'un homme en détresse.

- De quoi s'agit-il ? demande Shebli.

- Je n'avais qu'un seul véritable ami dans la vie, sanglote le malheureux, et il est mort.

- Aventureux ! murmure Shebli. Pourquoi donc avoir choisi un ami susceptible de mourir ?

 

Secret de Satan

Dieu dit à Son ami :

- Tu veux connaître le secret ? demande à Satan.

- L'homme fut donc amené à rencontrer le Diable, et à l'interroger sur son secret.

- Mon cher, répondit Satan, souviens-toi simplement de ceci : si tu ne souhaite pas devenir moi, évite de dire « je ».

 

Nourriture

Mange de façon à manger ce que tu manges, et non pas de manière à être dévoré par ta nourriture.

(Abu Adbullah Herawi)

 

Hallaj et Pharaon

Une nuit, en rêve, un Soufi voit Pharaon en enfer et Mansur Al-Hallaj très haut dans le ciel.

- Seigneur, demande le rêveur, éclaircis-moi ce paradoxe. Pharaon proclamait : « Je suis votre Dieu », et Hallaj : « Je suis la Vérité ». Ne disaient-ils pas la même chose ? Tous deux ne prétendaient-ils pas être Dieu ? Pourquoi une telle différence de traitement leur est-elle faite ?

- Pharaon tomba sous l'emprise de son ego, dit la Voix. En tout ce qu'il a vu, il n'a que lui-même. Ainsi M'a-t-il perdu. Tandis que Mansur, en tout ce qu'il a vu, n'a vu que Moi, et a perdu son ego. Voilà la différence entre eux.

 

Jusqu'en Chine si nécessaire

Un pèlerin du Khorassan, sur la route de la sainte Ka'aba, la Demeure de Dieu à Hijaz, fut questionné par Kharaqani :

- Ami, où vas-tu ainsi ?

- A la Ka'aba, à Hijaz, pour chercher Dieu.

- Mais dis-moi, reprit Kharaqani : où est le Dieu du Khorassan pour que tu aies besoin d'aller Le chercher à Hijaz ?

Devant l'incompréhension soudaine du pèlerin, Kharaqani ajouta :

- Notre saint Prophète a dit d'aller chercher la Connaissance jusqu'en Chine si nécessaire, mais il n'a pas dit de pister Dieu.

 

Patience, confiance

Patience ?

Dans le désastre comme dans l'absence de désastre, demeurer le même.

 

La patience consiste à engloutir l'adversité sans même un froncement de sourcils.

 

La confiance en Dieu ?

Trouver le bonheur jusque dans la catastrophe. (Junayd)

 

Paraître

Parais ce que tu es, ou sois ce que tu parais ! (Bistami)

 

Admirables actions

Prier et jeûner sont des actions admirables.

Mais nettoyer et purifier son cœur pour en bannir l'arrogance, la jalousie et la cupidité sont actions bien plus admirables encore. (Kharaqani)

 

Gratitude

La gratitude :

Ne pas voir le cadeau, mais d'abord Celui qui l'offre. (Shebli)

 

Adore-moi

Celui qui adore Dieu par crainte n'adore en fait que sa propre personne, et sa motivation réside seulement dans le souci de son propre salut.

Celui qui adore Dieu par espoir n'adore en fait que sa propre personne, et sa motivation n'est que spéculation sur quelque récompense céleste.

Je n'adore Dieu ni dans la crainte ni dans l'espoir, comme le font des serviteurs que leur maître paye pour cela.

Je L'adore même pas au nom de l'amour que j'ai de Lui : revendiquer que je L'aime relèverait en effet d'une bien énorme prétention, et je ne saurais en être digne.

J'agis seulement comme je le dois. Il dit : « Adore-moi », et je L'adore. (Ansari)

 

Clair et net

La loi ?

- Le chercher.

La Voie ?

- L'adorer.

La Vérité ?

- Le voir. (Shebli)

 

Extraits de

Rire avec Majrouh

Aphorisme et conte soufis

 

 

 

 

 

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22 juillet 2012 7 22 /07 /juillet /2012 17:55

Quelqu'un demanda à un soufi :

 

« Apprends-moi à prier.

 

- Non seulement pries-tu déjà, dit le soufi, mais une part de ton esprit est constamment occupée à prier.

 

- Je ne comprends pas, répliqua l'autre, car cela fait des mois que je suis incapable de prier Dieu, pour je ne sais quelle raison...

 

- Tu m'as dit : « Apprends-moi à prier. » Tu n'as pas mentionné Dieu. Or la prière où tu t'absorbes depuis des mois s'adresse à tes voisins, car tu te préoccupes constamment de ce qu'ils peuvent penser de toi. Tu fais aussi une prière permanente à une idole d'argent, parce que c'est d'argent que tu as envie. Ta prière s'adresse encore à une image de la sécurité et à une image de l'abondance. Si tu as tant de dieux et si tu pries autant, au point que cela constitue une part permanente de ton être, être-il étonnant que tu n'aies pas de place pour une autre sorte de prière ? »

 

 

Idries Shah

Chercheur de vérité

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22 juillet 2012 7 22 /07 /juillet /2012 16:05

Un homme entra un jour chez l'un des plus riches marchands de Bagdad et remarqua dans un coin de la boutique un coffret de grandes dimensions, fermé à clef, qui semblait très ancien et d'une facture tout à fait inhabituelle.

 

Il portait cette inscription :

 

BASES ET RUDIMENTS DE LA CONNAISSANCE SOUFIE

 

Ce coffret éveilla sa curiosité, car cela faisait des années que les soufis étaient au centre de ses réflexions, qu'il lisait leurs livres et le récit de leur vie.

 

Il l'acheta pour une sommes considérable et l'emporta chez lui.

 

Quand il eut réussi à l'ouvrir, il n'y trouva qu'un morceau de papier sur lequel on pouvait lire : « Voici les bases et les rudiments de la connaissance soufie : désire la vérité plus que l'excitation, cherche et trouve le Maître. »

 

Idries Shah

Chercheur de vérité

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22 juillet 2012 7 22 /07 /juillet /2012 15:43

Question : Les gens-ils vraiment aussi stupides que les soufis le prétendent ? Si c'était vrai, comment la société pourrait-elle fonctionner aussi bien ? Comment peut-on vérifier si les gens se comportent vraiment de façon aussi absurde que certains des personnages des histoires et des récits-enseignements soufis ?

 

Réponse : Les gens sont réellement aussi stupides que les soufis le prétendent. Si la société fonctionne si bien, comme vous dites, c'est que tout le monde n'est pas stupide tout le temps. L'entreprise soufie aide les gens en démasquant la stupidité afin de prévenir sa manifestation là où elle fait obstacle à la compréhension. Point n'est besoin de vérifier si les gens se comportent vraiment comme les personnages des contes et des récits : les pages des journaux sont remplies d'exemples de ce comportement ; il s'étale tout le temps et partout. Vous n'avez pas besoin, après tout, de « vérifier » si une cerise est rouge – vous pouvez le savoir directement une fois que vous savez distinguer le rouge.

 

Malgré cela, nombreux sont ceux qui prennent plaisir, pour une raison ou une autre, à faire la démonstration de la stupidité humaine. Jaroslav Hasek, l'auteur du Brave Soldat Chveik, était du nombre. Il écrivit dans une revue de zoologie un article qui eut un grand retentissement : il y affirmait que les éléphants, à la différence des tigres, prisent fort la musique enregistrée. Son traité sur les puces préhistoriques fossilisées eut un tel succès que de nombreuses revues savantes européennes le publièrent. Quand il inséra une annonce dans un journal proposant des « loups-garous  de race à vendre », il fut inondé de lettres de commande. Il enfila un jour un uniforme de policier et annonça au directeur d'un collège de Prague qu'il était en état d'arrestation. Sur quoi cet homme le suivit docilement au commissariat de police.

 

Hasek voulait montrer par là que les gens se laissent facilement impressionner par les symboles de l'autorité ; qu'ils prennent pour argent comptant ce qui s'écrit dans les revues savantes ; qu'ils vont même jusqu'à accepter des « loups-garous » si on leur en propose, et qu'ils publient sans sourciller les pires idioties.

 

Maintenant, est-ce que je peux vous poser une question ? Si les gens n'étaient pas aussi stupides qu'on le prétend, toléreraient-ils le genre d'individus et d'organisation qui les exploitent ? Qui vote pour les politiciens menteurs et invraisemblables qui, ne l'oubliez pas, président aux destinées d'un grand nombre d'entre nous ?

 

Idries Shah

Chercheur de vérité

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19 juillet 2012 4 19 /07 /juillet /2012 16:56

Il était une fois un homme qui désirait devenir le disciple d'un certain sheikh soufi. A vrai dire, il n'était pas prêt à parcourir le chemin en respectant l'ordre juste des événements, car il était excitable et avide : il possédait en fait les caractéristiques qui interdisent à la majorité des gens de poursuivre le Voyage jusqu'à son terme.

 

Le sheikh lui donna néanmoins une chance car il était encore possible qu'il voie, au travers des conséquences tangibles de ses imperfections, la nécessité d'adopter une approche complètement différente et de devenir plus calme, plus réfléchi.

 

Au bout de quelque temps, cependant, le disciple commença à se sentir frustré de ce que le sheikh le mît dans des situations où rien ne semblait arriver, et il en conclut que ce maître était incompétent.

 

Il se chercha donc un autre maître, quelqu'un qui prenne au sérieux l'idée qu'il se faisait de lui-même. Et il n'eut pas de mal à trouver celui qu'il cherchait.

 

Or ce second maître n'était rien moins qu'un maniaque qui haïssait le premier ; quand il eut gagné la confiance de son nouveau disciple et allumé sa cupidité avec des promesses de secrets et de réussite, il lui dit :

 

« Maintenant, je vais te mettre à l'épreuve. Si tu en sors victorieux, tu seras en mesure de gravir les plus hauts sommets de la compréhension spirituelle. »

 

Le disciple jura qu'il était prêt, quelle que soit l'épreuve.

 

« Très bien ! reprit le faux maître, apporte-moi le cœur de ton premier maître .»

 

Le disciple trouvait son nouveau maître si extraordinaire que cela lui avait complètement tourné la tête. Il alla tuer le sheikh et lui arracha le cœur de la poitrine.

 

En proie à la plus intense émotion, brûlant de connaître les secrets et les états mystiques, il s'en allait tout courant porter le coeur chez son nouveau maître lorsqu'il trébucha et faillit tomber.

 

C'est alors qu'il entendit, comme venant du cœur arraché qu'il portait, la voix du sheikh assassiné :

 

« Doucement, mon fils ; domine ton inattention et ton avidité ! »

 

Idries Shah

Chercheur de vérité

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19 juillet 2012 4 19 /07 /juillet /2012 16:41

Moïse, le grand législateur, était parti voir Dieu car il voulait lui demander conseil quant à la suite de son travail.

 

Chemin faisant, il rencontra un mendiant qui lui dit :

 

« Où vas-tu, Moïse ? »

 

Le prophète répondit :

 

« Je vais voir Dieu.

 

- Quand tu le verras, veux-tu lui dire que je suis pauvre et que je ne sais que faire pour améliorer ma situation. »

 

Moïse promit.

 

Peu de temps après, il rencontra par hasard un homme très riche qui l'interrogea :

 

« Où vas-tu, Moïse ? »

 

- Voir Dieu.

 

- Quand tu le verras, est-ce que tu veux bien lui demander ce que je dois faire ? J'ai trop d'argent, et néanmoins il continue à en faire pleuvoir sur ma tête. »

 

Moïse accepta.

 

Lorsqu'il fut devant Dieu, il lui dit :

 

« Seigneur ! Je suis venu te demander comment continuer mon travail. Je voudrais aussi te parler de ceux hommes que j'ai rencontrés en chemin. »

 

Il parla à Dieu du riche et du pauvre.

 

Dieu dit :

 

« O Moïse ! Tu me demandes de t'indiquer comment poursuivre ton travail. Mais dans le cas du riche comme dans celui du pauvre, tu n'as pas fait ce que tu savait pertinemment qu'il était juste de faire : donner au pauvre le surplus de la fortune du riche. Comment pourrais-je te dire de faire davantage alors que tu ne fais pas ce que tu es censé être déjà en train de faire ? »

 

Idies Shah

Chercheur de vérité

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19 juillet 2012 4 19 /07 /juillet /2012 16:28

Les Hérétiques

 

On rapporte que l'Imam al-Ghazali fut invité un jour à une réunion de juriste.

 

« Tu es un homme éminent, lui dit le chef des juristes et, comme nous tous ici, du nombre des savants. Les humbles viennent donc te demander d'interpréter la Sainte Loi, la Sharia. Or le bruit court que tu aurais conseillé à tel et tel de ne pas observer la jeûne pendant le mois de Ramadan ; on raconte aussi que tu aurais déclaré qu'il valait mieux pour certains ne pas faire le pèlerinage de la Mecque ; d'autres affirment que tu as réprimandé des croyants pour avoir dit : «Il n'y pas d'autre Dieu qu'Allah. » Ces propos pernicieux, s'il est vrai que tu les as tenus, sont pour nous la preuve suffisante de ton infidélité. Seule ta réputation t'a jusqu'ici épargné le châtiment réservé aux apostats. Les gens sont en droit d'être protégés contre des individus tels que toi. »

 

Ghazali poussa un soupir, et répondit :

 

« La Sainte Loi de l'Islam nous le dit : ceux qui n'ont pas une claire intelligence de la Loi et ce qu'elle signifie ne peuvent être coupable de manquements à la Loi et ne sont pas assujettis à ses règles. Cela vaut obligatoirement pour les enfants et les imbéciles, mais cela vaut aussi pour tous ceux qui sont privés de compréhension. Si un homme ne perçoit pas la réalité intérieure du jeûne ou ne fait un pèlerinage que pour se mortifier ou bien encore récite la profession de foi sans avoir la foi, cet homme-là est dénué de compréhension, et il n'est juste de l'encourager à persévérer dans ses pratique. Quelqu'un devra le mettre sur la voie de la compréhension. Vous l'avez dit : les gens sont en droit d'être protégés – protégés contre vous, les juristes, qui voudriez les récompenser pour des mérites inexistants et les persécuter pour des fautes imaginaires.

 

« Si un homme ne peut marcher parce qu'il est impotent d'une jambe, allez-vous lui dire de marcher, ou bien lui donnerez-vous une béquille, ou le guérirez-vous de son infirmité ?

 

« C'est parce qu'il avait prévu la venu de gens tels que vous que le Prophète a dit : « L'islam a commencé dans l'exil et finira dans l'exil. » La compréhension du sens des choses n'est pas dans votre intention ni en votre pouvoir ; et vous n'avez pas appris à comprendre. Aussi bien tout ce que vous savez faire, c'est menacer les autres de la mort pour apostasie. En vérité, ce n'est pas moi qui suis un apostat, mais chacun d'entre vous. »

 

Idries Shah

Chercheur de vérité

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18 juillet 2012 3 18 /07 /juillet /2012 13:42

Du mysticisme islamique et des soufis

 

Le nom de soufi (sûfi) est une expression issue du mot arabe sâf, « laine ». La raison pour laquelle les soufis sont appelés ainsi est que leur monde intérieur est purifié et illuminé de la lumière de la sagesse, de l'unité et de l'identité.

 

Une autre signification de cette appellation est qu'ils sont spirituellement reliés avec les compagnons permanents du Prophète qu'on appelait les « compagnons revêtus de laine ».

 

Il se peut qu'ils aient porté, quand ils étaient novices, le vêtement habituel fait de laine de mouton écrue (sûf), et qu'ils aient passé leur vie en vieux vêtements rapiécés.

 

Comme leur aspect extérieur est humble et pauvre, de même leur vie terrestre. Ils mangent, boivent et goûtent aux plaisir du monde avec frugalité. Dans le livre intitulé al-Majma', il est dit :

 

Ce qui est convenable pour un pieux ascète, c'est un vêtement et un mode de vie ordinaires et humbles.

 

Bien qu'ils puissent sembler peu attirants pour celui qui est attaché aux biens de ce monde, leur sagesse se manifeste dans leur manière aimable et délicate, qui les rend attirants pour ceux qui savent. En réalité, ils sont un exemple pour l'humanité. Ils respectent les prescriptions divines. Ils sont, aux yeux de leur Seigneur, au premier rang de l'humanité ; aux yeux de ceux qui cherchent leur Seigneur, ils sont magnifiques en dépit de leur apparence humble. Il faut les discerner et il faut qu'on puisse les discerner et ils doivent être de cette façon un et tous, car ils sont tous au niveau de l'unité et de l'identité et doivent apparaître comme un seul.

 

En arabe , le mot tasawwuf, « mysticisme islamique », se compose de quatre lettre : t, s, w, et f. La première lettre, t (), représente le mot tawba, repentir. C'est la première étape à franchir dans la voie. C'est comme si c'était une double étape, l'une vers l'extérieur, l'autre l'intérieur. L'étape vers l'extérieur, dans le repentir, se parcourt par des mots, des actes, des sentiments : mettre sa vie à l'abri du péché, de la mauvaise action et se tourner vers l'obéissance ; fuir la révolte et le conflit pour rechercher l'accord et l'harmonie. L'étape vers l'intérieur, dans le repentir, est franchie par le cœur. C'est le nettoyage du cœur des désirs matériels conflictuels et l'affirmation totale du cœur du désir du divin. Le repentir – être conscient de ce qui est mal et s'en abstenir, être conscient de ce qui est bien et s'y efforcer – conduit l'être humain à la deuxième étape.

La deuxième étape est l'état de paix et de joie, safâ'. La lettre s (sâd) est son symbole. Dans cet état, il y a de la même façon deux étapes à franchir : la première est vers la pureté du cœur et la seconde vers le centre secret.

 

La paix du cœur naît d'un cœur exempt d'anxiété. L'anxiété est causée par le poids de tout ce qui est matériel – le poids de la nourriture, de la boisson, du sommeil, de la conversation oisive. Tout cela, agissant comme la gravité de la terre, tire le cœur éthéré vers le bas, et se libérer de ce poids est fatigant pour le cœur. Il existe alors des liens – désir, possessions, amour de la famille et des enfants – qui attachent le cœur éthéré à la terre et l'empêchent de s'élever.

 

La voie pour libérer le cœur, pour le purifier, c'est le souvenir d'Allah. Au commencement, ce rappel ne peut se faire qu'extérieurement, en répétant les Noms divins, en les prononçant à voix haute afin que vous-mêmes et les autres puissiez entendre et vous souvenir. Quand se souvenir de Lui devient permanent, le rappel s'enfonce dans le cœur et devient intérieur, silencieux. Allah dit :

 

Les vrais croyants sont ceux dont les cœurs frémissent quand on mentionne Allah. Et quand Ses versets leur sont récités, cela fait augmenter leur foi. (Le butin – 8.2)

 

« Frémir » signifie éprouver la crainte révérencielle, la peur et l'amour vis-à-vis d'Allah. Avec le souvenir et la récitation des Noms d'Allah, le cœur s'éveille. Les formes et les figures du royaume caché et invisible se reflètent dans ce cœur. Le Prophète (que Dieu le bénisse et lui accorde la paix) dit : Les hommes de connaissance parcourent et examinent les choses avec leur cerveau alors que les sages sont intérieurement occupés à nettoyer et à faire briller leur cœur.

 

La paix du centre secret est installée en nettoyant le cœur de toute chose et le préparant à recevoir uniquement l'Essence d'Allah, qui pénètre dans un cœur quand il est embelli par l'amour divin. Les moyens de ce nettoyage sont le constant rappel intérieur et la récitation par la langue secrète du Témoignage divin de l'Unité lâ ilâha illâ Llâh - « il n'y de dieu qu'Allah ». Quand le cœur et son centre sont dans un état de paix et de joie, alors la deuxième étape, représentée par la lettre s, est terminée.

 

La troisième lettre, w (wâw), représente wilâya, qui est l'état de sainteté des amants et des amis de Dieu. Cet état dépend de la pureté intérieure. Allah mentionne Ses amis dans le saint Coran :  

 

En vérité, les bien-aimés d'Allah seront à l'abri de toute crainte, et ils seront point affligés, (Jonas – 10. 62)

 

Il y a pour eux une bonne annonce dans la vie d'ici-bas tout comme dans la vie ultime. (Jonas – 10. 64)

 

Celui qui est dans cet état de sainteté est totalement conscient d'Allah, dans l'amour d'Allah, en lien avec Allah. La conséquence est qu'il est embelli du meilleur des personnalités, des attitudes morales et des comportements. C'est un don divin qui se répand sur lui. Notre Maître le Prophète (que Dieu le bénisse et lui accorde la paix) dit : Observez les règles morale divines et comportez-vous conformément à elles.

A ce niveau, l'homme conscient se défait de ses caractéristiques matérielles et temporelles et il apparaît habillé des attributs divins. Allah dit, par l'intermédiaire de son Prophète (que Dieu le bénisse et lui accorde la paix) :

 

Quand J'aime Mon serviteur, Je deviens ses yeux, ses oreilles, sa langue, ses mains et ses pieds. Il voit par Moi, il entend par Moi, il parle en Mon Nom, ses mains deviennent Miennes et il marche avec Moi.

 

Nettoyer-vous de tout et ne conservez en vous que l'Essence d'Allah,  

 

car la vérité (l'Islam) est venue et l'Erreur a disparu. Car l'Erreur est destinée à disparaître. (Le voyage nocturne – 17. 81).

 

Quand la vérité arrive et que le mensonge s'évanouit, le niveau de wilâya est franchi.

La quatrième lettre, le f ('), représente le fanâ', l'annihilation du soi, l'état de néant. Le soi trompeur se dissout et s’évanouit quand les attributs divins entrent dans l'être. Et quand la multiplicité des attributs et des traits de personnalité de ce monde s'en vont, leur place est prise par le seul attribut d'unité.

 

En réalité, la vérité est toujours présente. Elle ne disparaît ni ne faiblit jamais. Ce qui se passe, c'est que le croyant devient conscient et ne fait plus qu'un avec ce qui l'a créé. En étant avec Lui, le croyant reçoit Son plaisir : l'être temporel trouve sa vraie existence en devenant conscient du secret éternel.  

 

Tout doit périr, sauf Son Visage. (Le récit – 28.88)

 

Le chemin pour réaliser Sa vérité passe par Son plaisir, Son accord. Quand vous faites de bonnes œuvres par amour de Lui, ses œuvres qui recueillent Son approbation, vous venez plus près de Sa vérité, de Son Essence. Alors tout disparaît sauf Celui qui est satisfait et celui dont Il est satisfait, avec lequel Il est uni. Les bonnes œuvres sont la mère qui porte l'enfant de la vérité : la vie consciente d'un véritable être humain. Ver Lui monte la bonne parole, et Il élève haut la bonne action. (Le Créateur – 35. 10)

 

Quelqu'un qui agit et existe pour quelque chose d'autre que le seul amour d'Allah, celui-là donne des associés à Allah, se mettant lui-même ou mettant d'autres à la place d'Allah – le péché impardonnable qui tôt ou tard le détruira. Mais quand le moi et l'égoïsme sont annihilés, on atteint la stade de l'union à Allah. Le niveau de l'union est le royaume de la proximité d'Allah. Allah décrit ainsi ce royaume :

 

Les pieux seront dans les Jardins parmi les ruisseaux, dans un séjour de vérité, auprès d'un Souverain Omnipotent. (Le Tout Miséricordieux – 55. 54-55)

 

Cet endroit est l'endroit de la vérité essentielle, la vérité de toutes les vérités, l'endroit de l'unité et de l'identité. C'est l'endroit réservé aux prophètes, à ceux qui sont aimés d'Allah, à Ses amis. Allah est avec ceux qui sont vrais. Quand une existence créée est unie à l'existence éternelle, on ne peut plus la concevoir comme une existence séparée. Quand tous les liens terrestres sont coupés et qu'on est en union avec Allah, avec la vérité divine, on reçoit une pureté éternelle, qui ne peut pas être souillée, et on devient un parmi  

 

les gens du Paradis : ils y demeureront éternellement. (Al-A'râf – 7.42)

 

Il sont  

 

ceux qui croient et dont de bonnes œuvres. (Al-A'râf – 7.42)

 

Mais on a besoin d'une bonne dose de patience :

 

Et Allah est avec les endurants. (Le butin – 8.66).

 

 

Abd al-Qader Al-Jîlâni

Secret des Secrets

Chapitre 6

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8 juillet 2012 7 08 /07 /juillet /2012 11:48

Nous entendons par ce terme de « psychologisme » le parti pris de tout réduire à des facteurs psychologiques et de mettre en question, non seulement l'intellectuel et le spirituel, - le premier se référant à la vérité et le second à la vie en elle et par elle, – mais aussi l'esprit humain comme tel, donc sa capacité d'adéquation et, de toute évidence, son illimitation interne ou sa transcendance. Cette tendance amoindrissante et proprement subversive sévit dans tous les domaines que le scientisme prétend embrasser, mais son expression la plus aiguë est sans conteste possible la psychanalyse ; celle-ci est à la fois un aboutissement et une cause, comme c'est toujours le cas chez les idéologies profanes, telles le matérialisme et l'évolutionnisme, dont la psychanalyse est au font une ramification logique et fatale et un allié naturel.

La psychanalyse mérite doublement le qualificatif d'imposture, premièrement parce qu'elle fait semblant d'avoir découvert des faits qui étaient connus de tout temps et ne pouvaient pas ne pas l'être, et deuxièmement – et surtout – parce qu'elle s'attribue des fonctions en fait spirituelles et se pose ainsi pratiquement en religion. Ce qu'on appelle « examen de conscience » ou, chez les musulmans, « science des pensées (ilm el-khawâtir), ou « investigation » (vichara) chez les Hindous, – avec des nuances quelque peu diverses, - n'est pas autre chose qu'un analyse objective des causes proches et lointaines de nos façons d'agir ou de réagir qui se répètent automatiquement sans que nous en connaissions les motifs réels, ou sans que nous discernions le caractère réel de ces motifs. Il arrive que l'homme commette habituellement, et aveuglément, les mêmes erreurs dans les mêmes circonstances, et il le fait parce qu'il porte en lui-même, dans son subconscient, des erreurs à base d'amour propre ou des traumatismes ; or pour se guérir, l'homme doit détecter ces complexes et les traduire en formules claires, il doit donc devenir conscient des erreurs subconscientes et les neutraliser au moyen d'affirmations opposées ; s'il y parvient, ses vertus seront d'autant plus lucides. C'est en ce sens que Lao-Tseu a dit : « Sentir une maladie, c'est ne plus l'avoir », et la Loi de Manou : « Il n'y pas d'eau lustrale pareille à la connaissance », c'est-à-dire à l'objectivation par l'intelligence.

Ce qui est nouveau dans la psychanalyse et qui en fait la sinistre originalité, c'est le parti pris de réduire tout réflexe ou toute disposition de l'âme à des causes mesquines et d'exclure les facteurs spirituels, d'où la tendance bien notoire de voir de la santé dans ce qui est plat et vulgaire, et de la névrose dans ce qui est noble est profond. L'homme ne peut échapper ici-bas aux épreuves et au tentations, son âme est donc forcément marquée par une certaine tourmente, à moins d'être d'une sérénité angélique – ce qui arrive dans des milieux très religieux – ou au contraire d'une inertie à toute épreuve, ce qui arrive partout ; mais la psychanalyse, au lieu de permettre à l'homme de tirer le meilleur parti de son déséquilibre naturel et en un sens providentiel, – et le meilleur parti est ce qui profite à nos fins dernières, – tend au contraire à réduire l'homme à un équilibre amorphe, un peu comme si on voulait éviter à un jeune oiseau les angoisses de l'apprentissage en lui coupant les ailes. Analogiquement parlant, quand un homme s'inquiète d'une inondation et cherche le moyen de lui échapper, la psychanalyse dissoudra l'inquiétude et laissera le patient se noyer ; ou encore, au lieu d'abolir le péché, elle abolira la mauvaise conscience, ce qui permet d'aller sereinement en enfer. Ce n'est pas à dire qu'il n'arrive jamais qu'un psychanalyste découvre et dissolve un complexe dangereux sans pour autant ruiner le patient ; mais c'est du principe qu'il s'agit ici, dont les périls et les erreurs l'emportent infiniment sur les avantages aléatoires et les vérités fragmentaires.

 

Il résulte de tout ceci que pour le psychanalyste moyen, un complexe est mauvais parce que c'est un complexe ; on ne veut pas se rendre compte qu'il est des complexes qui font honneur à l'homme ou qui lui sont naturels en vertu de sa déiformité, et qu'il est par conséquent des déséquilibres nécessaires, et appelés à trouver leur solution au-dessus de nous-mêmes et non au-dessous1. Nous ne sommes pas des substances amorphes, mais des mouvements en principe ascensionnels ; notre bonheur doit être proportionné à notre nature totale, sous peine de nous réduire à l'animalité, car un bonheur sans Dieu est précisément ce que l'homme ne supporte pas sans se perdre. Et c'est pour cela qu'un médecin de l'âme doit être un pontifex, donc un maître spirituel au sens propre et traditionnel du mot ; un professionnel profane n'a ni la capacité ni par conséquent le droit de toucher à l'âme, au-delà des difficultés élémentaires que le simple bon sens suffit à résoudre.

 

Le crime spirituel et social de la psychanalyse est donc d'usurper la place de la religion ou de la sagesse, qui est celle de Dieu, et d'éliminer de ses procédés toute considération de nos fins dernières ; c'est comme si, pouvant combattre Dieu, on s'en prenait à l'âme humaine qui lui appartient et lui est destinée, en avilissant l'image divine à défaut du Prototype. Comme toute solution esquivant le surnaturel, le psychanalyse remplace à sa façon ce qu'elle abolit : le vide qu'elle produit par ses destructions volontaires ou involontaires la dilate et la condamne à un faux infini ou à la fonction d'une pseudo-religion.

 

La psychanalyse, afin de pouvoir éclore, avait besoin d'un terrain approprié, non seulement au point de vue des idées, mais aussi à celui des phénomènes psychologiques : nous voulons dire que l'Européen, qui a toujours été un cérébral, l'est devenu infiniment davantage depuis un ou deux siècles environ ; or cette concentration de toute intelligence sur la tête a quelque chose d'excessif et d'anormal, et les hypertrophies qui en résultent ne constituent pas une supériorité, malgré leur efficacité en certains domaines.

 

Normalement, l'intelligence doit siéger, non pas dans le seul mental, mais aussi dans le cœur, et elle doit également se répartir sur le corps entier, comme c'est surtout le cas chez les hommes dits « primitifs », mais incontestablement supérieurs sous certains rapports aux ultra-civilisés ; quoi qu'il en soit, ce à quoi nous voulons en venir est que la psychanalyse est en grande partie fonction d'un déséquilibre mental plus ou moins généralisé dans un monde où la machine dicte à l'homme son rythme de vie et même, ce qui est plus grave, son âme et son esprit.

 

*

 

La psychanalyse a fait son entrée plus ou moins officielle dans le monde des « croyants », ce qui est un signe des temps ; il en résulte l'introduction, dans la soi-disant « spiritualité », d'une méthode qui est parfaitement contraire à la dignité humaine, et qui se trouve aussi en étrange contradiction avec la prétention d'être « adulte » et « émancipé ». On joue aux demi-dieux et on se traite en même temps comme des irresponsables ; à cause de la moindre dépression causée soit par une ambiance trop trépidante, soit par un genre de vie par trop contraire au bon sens, on court chez le psychiâtre dont le travail consistera à vous insuffler quelque faux optimisme ou à vous conseiller quelque péché libérateur. On ne semble pas se douter un instant qu'il n'y a qu'un seul équilibre, celui qui nous fixe en notre centre réel et en Dieu.

Un des effets les plus odieux de l'adoption du psychanalisme par les « croyants », est la disgrâce du culte de la Sainte Vierge ; ce culte ne peut que gêner une mentalité barbare qui se veut « adulte » à tout prix et qui ne croit plus qu'au trivial. Au reproche de « gynécolâtrie » ou de « complexe d’Oedipe » nous répondrons que, comme tout autre argument psychanaliste, celui-ci passe à côté du problème car la question qui se pose n'est pas de savoir quel peut être le conditionnement psychologiques d'une attitude, mais bien au contraire quel en est le résultat. Quand on nous apprend par exemple qu'un tel choisit la métaphysique à titre d' « évasion » ou de « sublimation » et à cause d'un « complexe d'infériorité » ou d'un « refoulement », cela est sans importance aucune, car béni soit le « complexe » qui est la cause occasionnelle de l'acceptation du vrai et du bien ! Mais il y a encore ceci : les modernes, fatigués qu'ils sont des douceurs artificielles que charrient leur culture et leur religiosité depuis l'époque baroque, reportent – selon leur habitude – leur aversion sur la notion même de douceur et se ferment ainsi, soit à toute une dimension spirituelle s'ils sont « croyants », soit même à toute humanité véritable, comme le montre un certain culte infantile de la grossièreté et du vacarme.

Au reste, il ne suffit pas de demander ce que vaut telle dévotion dans telles consciences, il faut demander aussi par quoi on la remplace ; car la place d'une dévotion supprimée ne reste jamais vide.

 

F. Schuon,

Résumé de métapyhsique intégrale

 

 

1« Mieux vaut pour toi qu'un seul de tes membres périsse, que si ton corps tout entier est jeté dans la géhenne. » (Math. V.29 et 30).

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29 mars 2012 4 29 /03 /mars /2012 11:37

Bien que nous ayons souvent précisé quelle devait être normalement, vis-à-vis de la science profane, l'attitude de quiconque représente ou plus simplement expose une doctrine traditionnelle quelle qu'elle soit,il semble, d'après certaines réflexions dont on nous a fait part de divers côtés en ces derniers temps, que tous ne l'aient pas encore parfaitement compris. Nous devons d'ailleurs reconnaître qu'il y a à cela une excuse : c'est que l'attitude dont il s'agit est difficilement concevable pour ceux qui sont plus ou moins affectés par l'esprit moderne, c'est-à-dire pour l'immense majorité de nos contemporains, du moins dans le monde occidental ; rares sont ceux qui réussissent à se débarrasser entièrement des préjugés qui sont inhérents à cet esprit, et qui leur ont été imposés par l'éducation qu'ils ont reçue et par le milieu même où ils vivent. Or, parmi ces préjugés, un des plus forts est certainement la croyance à la valeur de la science moderne, qui est en réalité la même chose que la science profane ; de là résulte inévitablement, chez beaucoup, une sorte de volonté plus ou moins inconsciente de ne pas admettre que les résultats réels ou supposés de cette science soient quelque chose dont on puisse ne tenir aucun compte.

 

Nous rappellerons tout d'abord que, dans quelque ordre que ce soit, c'est le point de vue profane lui-même qui est illégitime comme tel ; et ce point de vue consiste essentiellement à envisager les choses sans les rattacher à aucun principe transcendant, et comme si elles étaient indépendantes de tout principe, qu'il ignore purement et simplement, quand il ne va pas jusqu'à nier d'une façon plus ou moins explicite. Cette définition est également applicable au domaine de l'action et à celui de la connaissance ; dans ce dernier, il est bien évident que tel est le cas de la science moderne tout entière, et, par conséquent, celle-ci n'a aucun droit à être considérée comme une véritable connaissance, puisque, même s'il lui arrive d'énoncer des choses qui soient vraies, la façon dont elle les présente n'en est pas moins illégitime, et elle est en tout cas incapable de donner la raison de leur vérité, qui ne peut résider que dans leur dépendance à l'égard des principes. Il est d'ailleurs bien entendu que, dès lors que nous parlons de connaissance, ceci ne concerne pas les applications pratiques auxquelles cette science peut donner lieu ; ces applications, en effet, sont tout à fait indépendantes de la valeur de la science comme telle, et par conséquent, elles ne nous intéressent pas ici. Du reste, les savants eux-mêmes reconnaissent assez volontiers qu'ils utilisent des forces dont ils ignorent complètement la nature ; cette ignorance est sans doute pour beaucoup dans le caractère dangereux que ces applications présentent trop souvent, mais c'est là une autre question sur laquelle nous n'avons pas à insister actuellement.

 

On pourrait se demander si, malgré tout, une telle science ne peut pas être légitimée, en rétablissant, pour la part de vérité qu'elle peut contenir dans un ordre relatif, le lien avec les principes, qui seul permettrait de comprendre effectivement cette vérité comme telle. Assurément, cela n'est pas impossible dans certains cas, mais alors ce n'est plus de la même science qu'il s'agirait en réalité, puisque cela impliquerait un changement complet de point de vue, et que, par là même, un point de vue traditionnel serait substitué au point de vue profane ; il ne faut pas oublier qu'une science ne se définit pas uniquement par son objet, mais aussi par le point de vue sous lequel elle le considère. S'il en était ainsi, ce qui pourrait être conservé devrait être soigneusement distingué de ce qui serait au contraire à éliminer, c'est-à-dire de toutes les conceptions fausses auxquelles l'ignorance des principes n'a permis que trop facilement de s'introduire ; et la formulation même des vérités aurait le plus souvent besoin d'être rectifiée, car elle est presque toujours influencée plus ou moins gravement par ces conceptions fausses auxquelles les vérités en question se trouvent associées dans la science profane. Nous avons nous-même, dans un de nos ouvrages, donné à ce sujet quelques indications en ce qui concerne certaines parties des mathématiques modernes1 ; et qu'on ne vienne pas dire que, dans un cas comme celui-là, la rectification de la terminologie n'aurait que peu d'importance au fond, voire même qu'elle ne mériterait pas l'effort qu'elle exigerait, sous prétexte que les mathématiciens eux-mêmes ne sont pas dupes des absurdités impliquées dans le langages qu'ils emploient. D'abord, un langage erroné suppose toujours forcément quelque confusion dans la pensée même, et il est plus grave qu'on ne pourrait le croire de s'abstenir à ne pas vouloir dissiper cette confusion et à la traiter comme une chose négligeable ou indifférente. Ensuite, même si les mathématiciens professionnels ont fini par s'apercevoir de la fausseté de certaines idées, il n'en est pas moins vrai que, en continuant à employer des façons de parler qui reflètent ces mêmes idées fausses, ils contribuent à répandre celles-ci ou à les entretenir chez tous ceux qui reçoivent leur enseignement dans une mesure quelconque, directement ou indirectement, et qui n'ont pas la possibilité d'examiner les choses d'aussi près qu'eux. Enfin, et ceci est encore plus important, le fait de se servir d'une terminologie à laquelle on n'attache plus aucune signification plausible n'est pas autre chose qu'une des manifestations de la tendance de plus en plus accentuée de la science actuelle à se réduire à un « conventionalisme » vide de sens, tendance qui est elle-même caractéristique de la phase de « dissolution » succédant à celle de la « solidification » dans les dernières périodes du cycle2. Il serait vraiment curieux, et d'ailleurs bien digne d'une époque de désordre intellectuel comme la nôtre, que certains, en voulant montrer que les objections que nous avons formulées contre leur science ne sont pas réellement applicables en ce qui les concerne, mettent précisément en avant un argument qui ne fait au contraire qu'y apporter une confirmation encore plus complète !

 

Ceci nous amène à une considération d'ordre plus général : nous savons qu'on nous reproche parfois de faire état, contre la science moderne, de théories que les savants eux-mêmes n'admettent plus guère actuellement, ou sur lesquelles ils font tout au moins des réserves que ne faisaient pas leurs prédécesseurs. Pour prendre un exemple, il est exact, en effet, que le transformisme a perdu beaucoup de terrain dans les milieux « scientifiques », sans qu'on puisse toutefois aller jusqu'à dire qu'il n'y compte plus de partisans, ce qui serait une exagération manifeste ; mais il n'est pas moins exact qu'il continue à s'étaler comme précédemment, et avec la même assurance « dogmatique », dans les manuels d'enseignement et dans les ouvrages de vulgarisation, c'est-à-dire en somme dans tout ce qui est accessible en fait à ceux qui ne sont pas des « spécialistes », si bien que, en ce qui concerne l'influence qu'il exerce sur la mentalité générale, il n'y a véritablement rien de changé, et il garde toujours, si l'on peut dire, la même « actualité » sous ce rapport. On devra d'ailleurs bien comprendre que l'importance que nous attachons à ce fait, qu'on peut constater aussi pour toute sorte d'autres théories « périmées » ou « dépassées », suivant les expressions à la mode, ne tient nullement à ce que nous portons un intérêt particulier à la masse du « grand public » ; la vraie raison en est que ces théories affectent indistinctement par là tous ceux qui, comme nous venons de le dire, ne sont pas des « spécialistes », et parmi lesquels il en est sûrement, si peu nombreux qu'ils soient, qui, s'ils ne subissaient pas de telles influences, auraient des possibilités de compréhension que, par contre, on ne peut guère s'attendre à rencontrer chez les savant irrémédiablement enfermés dans leurs « spécialités ». A vrai dire, d'ailleurs, nous ne sommes pas bien sûr que, si beaucoup de ces savant ont renoncé pour leur propre compte aux formes grossières du transformisme, ce ne soit pas tout simplement pour le remplacer par des conceptions qui, pour être plus subtiles, ne valent pas mieux au fond et n'en sont même peut-être que plus dangereuses ; en tout cas, pourquoi entretiennent-ils une fâcheuse équivoque en continuant à parler d' « évolution » comme il le font toujours, si vraiment ce qu'ils entendent par là n'a plus guère de rapport avec ce qu'on était habitué jusqu'ici à désigner par ce mot, et faut-il voir là encore une manifestations du « conventionalisme » scientifique actuel, ou simplement un exemple de la tendance qu'ont aujourd'hui les mots, même dans l'usage courant, à perdre complètement leur sens normal ? Quoi qu'il en soit, ce qui est assez étrange, c'est que, tandis que certains nous font grief de ne pas prendre suffisamment en considération ce qu'on pourrait appeler l' « actualité » scientifique, il est aussi, dans d'autres milieux, des gens qui, au contraire ne nous pardonnent certainement pas de penser et de dire que le matérialisme n'est plus maintenant le seul danger qu'il y ait lieu de dénoncer, ni même le principal ou le plus redoutable ; il faut croire qu'il est bien difficile de satisfaire tout le monde, et d'ailleurs nous devons dire que c'est là une chose dont, pour notre part, nous ne nous sommes jamais préoccupé.

 

Revenons maintenant à la question de la légitimation des sciences modernes : si cette légitimation est possible pour certaines d'entre elles comme nous l'avons dit, il n'en est cependant pas ainsi pour toutes également, car il y a à cela une condition nécessaire, qui est qu'une science ait un objet qui soit légitime en lui-même, si la façon dont elle l'envisager ne l'est pas en raison de son caractère profane. Or cette condition n'est pas remplie par les sciences, nous devrions plutôt dire les prétendues sciences, qui ne sont en réalité rien de plus ni d'autre que des produits spécifiques de la déviation moderne ; un cas tout à fait typique en ce genre est celui de la psychanalyse, et il n'y a pas lieu de chercher à rattacher à des principes supérieurs ce qui n'est proprement qu'une aberration due à l'action d'influence psychiques de l'ordre le plus bas ; autant vaudrait essayer de légitimer le spiritisme ou les divagations « surréalistes » qui ont en somme une origine toute semblable, la seule seule différence étant que ces choses ne sont pas admises dans les cadres de l'enseignement « officiel ». D'autre part, en ce qui concerne celles des sciences modernes qui ont tout au moins un objet légitime, il ne faut pas oublier que, pour beaucoup d'entre elles, il y aurait lieu de tenir compte du caractère de « résidus » qu'elles présentent par rapport à certaines sciences anciennes, ainsi que nous l'avons expliqué en d'autres occasions, si bien que leur légitimation équivaudrait proprement à une restauration plus ou moins intégrale des sciences traditionnelles auxquelles elles correspondent ainsi et dont elles ne sont réellement que des vestiges dégénérés par suite de l'oubli des principes ; mais cette restauration même n'irait pas sans difficultés, car, parmi ces sciences traditionnelles, il en est, comme l'astrologie par exemple, dont la véritable « clef » semble bien perdue, et qu'en tout cas il faudrait bien se garder de confondre avec les déformations de date plus ou moins récente qu'on rencontre aujourd'hui sous le même nom, et qui sont elles-mêmes fortement affectées par le point de vue profane qui envahit tout de plus en plus.

 

La question que nous venons d'examiner n'a d'ailleurs actuellement qu'un intérêt en quelque sorte « théorique », car, en fait, la légitimation dont il s'agit n'a encore été entreprise dans aucun cas, de sorte que, quand on a affaire à la science moderne, on se trouve toujours uniquement en présence de la science profane. Celle-ci ne peut être considérée, par rapport aux doctrines traditionnelles, que comme purement et simplement inexistante ; en d'autres termes, il n'y a aucunement à se préoccuper de savoir si elle se trouve en accord ou en désaccord avec ces doctrines, avec lesquelles, en raison de son défaut de principes, elle ne saurait avoir aucun rapport effectif. S'il y a désaccord, on peut être certain que l'erreur est forcément du côté de la science profane, les données traditionnelles ne pouvant faire l'objet d'aucun doute pour quiconque en comprend la véritable nature, si au contraire il y a accord, c'est tant mieux pour cette science, mais pour elle seulement, car cela montre qu'elle est parvenue, quoique par des voies fort détournées et incertaines, à atteindre la vérité sur quelques points particuliers. Cette rencontre, qui n'a qu'un caractère tout accidentel, n'importe en rien aux doctrines traditionnelles, car celles-ci n'ont nul besoin d'une « confirmation » extérieure quelconque ; ce serait d'ailleurs une singulière confirmation que celle qu'on prétendrait obtenir en faisant appel à une science pour laquelle les vérités dont il s'agit ne peuvent jamais, comme tout l'ensemble de ses théories, apparaître que comme de simples hypothèses plus ou moins probables. Il n'y a pas lieu davantage, et pour les mêmes raisons, de chercher à associer à des données traditionnelles des idées empruntées à la science profane ou inspirées plus ou moins directement de celle-ci ; c'est là une entreprise parfaitement vaine, et qui ne peut être que le fait de ceux qui, comme les occultistes par exemple, ignorent totalement la portée réelle des éléments fragmentaires qu'ils ont pris dans ce qu'ils ont pu connaître de diverses traditions ; nous avons déjà expliqué assez souvent l'inanité de ce genre de constructions « syncrétiques » et hybrides pour qu'il ne soit pas nécessaire de nous y étendre de nouveau.

 

D'autre part, nous avons eu aussi l'occasion de faire remarquer la faiblesse, pour ne pas dire plus, de l'attitude qu'on est convenu d'appeler « apologétique », et qui consiste à vouloir défendre une tradition contre des attaques telles que celles de la science moderne en discutant les arguments de celle-ci sur son propre terrain, ce qui ne va presque jamais sans entraîner des concessions plus ou moins fâcheuses, et ce qui implique en tout cas une méconnaissance du caractère transcendant de la doctrine traditionnelle. Cette attitude est habituellement celle d'exotéristes, et l'on peut penser que, bien souvent, ils sont surtout poussés par la crainte qu'un plus ou moins grand nombre d'adhérents de leur tradition ne s'en laissent détourner par les objections scientifiques ou soi-disant telles qui sont formulées contre elle ; mais, outre que cette « quantitative » est elle-même d'un ordre assez profane, ces objections méritent d'autant moins qu'on y attache une telle importance que la science dont elles s'inspirent change continuellement, ce qui devrait suffire à prouver leur peu de solidité. Quand on voit, par exemple, des théologiens se préoccuper d' « accorder la Bible avec la science », il n'est que trop facile de constater combien un tel travail est illusoire, puisqu'il est constamment à refaire à mesure que les théories scientifiques se modifient, sans compter qu'il a toujours l'inconvénient de paraître solidariser avec l'état présent de la science profane, c'est-à-dire avec des théories qui ne seront peut-être plus admises par personne au bout de quelques années, si même elles ne sont pas déjà abandonnées par les savants, car cela aussi peut arriver, les objections qu'on s'attache à combattre ainsi étant plutôt ordinairement le fait des vulgarisations que celui des savants eux-mêmes. Au lieu d'abaisser maladroitement les Écritures sacrées à un pareil niveau, ces théologiens feraient assurément beaucoup mieux de chercher à en approfondir autant que possible le véritable sens, et de l'exposer purement et simplement pour le bénéfice de ceux qui sont capables comprendre, et qui, s'ils le comprenaient effectivement, ne seraient plus tentés par là même de se laisser influencer par les hypothèses de la Science profane, non plus d'ailleurs que par la « critique » dissolvante d'une exégèse moderniste et rationaliste, c'est-à-dire essentiellement antitraditionnelle, dont les prétendus résultats n'ont pas davantage à être pris en considération par ceux qui ont conscience de ce qu'est réellement la tradition. Quiconque expose une doctrine traditionnelle, exotérique aussi bien qu'ésotérique, a non seulement le droit le plus strict, mais même le devoir de se garder de la moindre compromission avec le point de vue profane, dans quelque domaine que ce soit ; mais où sont aujourd'hui, en Occident, ceux qui comprennent encore qu'il doit en être ainsi ? Certains diront peut-être que, après tout, c'est là l'affaire des théologiens, puisque ce sont eux que nous venons de prendre comme exemple, et non pas la nôtre ; mais nous ne sommes pas de ceux qui estiment qu'on peut se désintéresser des atteintes portées à une tradition quelconque, et qui sont même toujours prêts à se féliciter des attaques qui visent une tradition autre que la leur, comme s'il s'agissait de coups dirigés contre des « concurrents », et comme si ces attaques n'atteignaient pas toujours, en définitive, l'esprit traditionnel lui-même ; et le genre d' « apologétique » dont nous avons parlé ne montre que trop à quel point elles ont réussi à affaiblir cet esprit traditionnel chez ceux-là mêmes qui s'en croient les défenseurs.

 

Maintenant, il est encore un point qu'il nous faut bien préciser pour éviter tout malentendu : il ne faudrait certes pas penser que celui qui entend se maintenir dans une attitude rigoureusement traditionnelle doit dès lors s'interdire de jamais parler des théories de la science profane ; il peut et doit au contraire, quand il y a lieu, en dénoncer les erreurs et les dangers, et cela surtout lorsqu'il s'y trouve des affirmations allant nettement à l'encontre des données de la tradition ; mais il devra le faire toujours de telle façon que cela ne constitue aucunement une discussion « d'égal à égal », qui n'est possible qu'à la condition de se placer soi-même sur le terrain profane. En effet, ce dont il s'agit réellement en pareil cas, c'est un jugement formulé au nom d'une autorité supérieure, celle de la doctrine traditionnelle, car il est bien entendu que c'est cette doctrine seule qui compte ici et que les individualités qui l'expriment n'ont pas la moindre importance en elles-mêmes, or on n'a jamais osé prétendre, autant que nous sachions, qu'un jugement pouvait être assimilé à une discussion ou à une « polémique ». Si, par un parti pris dû à l'incompréhension et dont la mauvaise foi n'est malheureusement pas toujours absente, ceux qui méconnaissent l'autorité de la tradition prétendent voir de la « polémique » là où il n'y en a pas l'ombre, et il n'y a évidemment aucun moyen de les en empêcher, pas plus qu'on ne peut empêcher un ignorant ou un sot de prendre les doctrines traditionnelles pour de la « philosophie », mais ce ne vaut même pas qu'on y prête la moindre attention ; du moins tous ceux qui comprennent ce qu'est la tradition, et qui sont les seuls dont l'avis importe, sauront-il parfaitement à quoi s'en tenir ; et quant à nous, s'il est des profanes qui voudraient nous entraîner à discuter avec eux, nous les avertissons une fois pour toutes que, comme nous ne saurions consentir à descendre à leur niveau ni nous placer à leur point de vue, leurs efforts tomberont toujours dans le vide.

1Voir Les Principes du Calcul infinitésimal.

2Voir Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps.

 

 

René Guénon

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