Dieu
Appendice, X
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Donc vous ne voyez rien hors de la forme humaine !
L'homme est pour l'homme un type universel, donnant
Sa face et son profil même au ciel rayonnant ;
Les astres, les soleils sont tous des visages,
Des fronts, moins lumineux que les fronts de vos sages ;
Des vaguement dans l'éther radieux
S'ouvrent ; et la nuit triste a des millions d'yeux ;
L'aube a des cils de feu ; la planète hagarde
Est un crâne effrayant dont l’œil fixe regarde ;
Quand la lune apparaît, hommes, vous croyez voir
Votre face sortir, blême, du gouffre noir ;
Les sphères qui du soir couvrent les plaines brunes
Sont les masques humains qui roulent; quelques-unes,
Les comètes, qu'on suit des en pâlissant,
Ont encor leur traînée effroyable de sang ;
Tout l'azur n'est qu'un tas de figures funèbres
Grimaçant la lumière au milieu des ténèbres.
O spectacle hideux ! mais où sont donc les corps ?
Les monde, mutilé, rappellerait alors
On ne sait quel forfait dont l'homme est le complice ;
L'abîme semblerait le reste d'un supplice ;
Et le ciel, où l'aurore en pourpre affreuse luit,
Plein de tête grinçant à jamais dans la nuit,
Ne serait qu'un panier de guillotine énorme !
Morne esprit englouti dans le rêve difforme,
Âme dont le vertige égare les essors,
Émerge hors du flot des spectres, monte, sors,
Sors de la vision où, tremblant, tu te traînes !
Rentre aux réalités augustes et sereines
Et sache concevoir autre chose que toi,
Et que ta propre haine et que ton propre effroi !
*
Nulle image venant de l'homme est de la terre
Ne s'applique à l'abîme et ne peint le mystère.
Non, l'infini n'est pas un cercle d'avatars
Te renvoyant du fond des cieux des traits bâtards,
Ayant ton vil total pour limite et pour somme,
Subissant l'unité ténébreuse de l'homme.
Voir ta face au nadir, la revoir au zénith
Quel songe ! ta figure à ton monde finit.
Retiens ceci : multiple, étrange, impénétrable,
L'univers sombre est hors de l'homme misérable.
Sache que le principe inconnu, quel qu'il soit,
Ce qui donne toujours et jamais ne reçoit,
Ce que tu nommes Dieu, l'origine, la cause,
Ne recommence pas deux fois la même chose ;
L'être incommensurable à qui tout est soumis
N'a pas plus de fatigue aux soleils qu'aux fourmis.
Et ne dépense pas plus de puissance à faire
Aldébaran au ciel qu'un ver luisant sur terre ;
Le grand souffle d'en haut fait indifféremment
Eclore, pour glisser sur le marais dormant,
Ou pour tourbillonner autour des bleus pilastres,
Un vol de moucherons ou bien un essaim d'astres.
Les sphères sont dans l'être absolu fragments
Si divers de la vie et de purs éléments
Qu'il semble que le monde ait pour seul but d'extraire
De tout l'antagonisme et des cieux leur contraire,
La nuit !
Tout est splendide et trouble. A tout moment
L'insondable infini s'affirme et se dément ;
il se cache toujours, même quand il se montre ;
Le flambeau fume et l'ombre en sort ; de la rencontre
De deux formes et de l'ombre il naît une clarté ;
Tout est le monstre et tout est la divinité.
Homme, en se condensant dans les brumes profondes,
Les vagues tourbillons d'atomes dont des mondes ;
Les mondes à leur tout dans le ciel se défont
Ainsi qu'une lueur s'efface à ton plafond,
Et retombent du haut des prodigieux dômes
Dans le vent de l'abîme en poussière d'atomes.
Tout prend feu, tout s'allume... (lacune)
Oh ! des flamboiement d'aube et de fécondité
Se croisent en tous sens dans la forêt de l'être !
Et qui donc, quel voyant, quel prophète, quel prêtre
Pourrait se figurer, dans tout ce qui bruit,
Apparaît, disparaît, vient, passe, éclate, fuit,
Et dans ce qui pétille et dans ce qui ruisselle,
Ce vaste embrasement de vie universelle !
Chaque astre brille à part, tremble, et fait tournoyer
Son grain de cendre rouge autour du grand foyer ;
Chacun est l'étincelle ; aucun n'est l'incendie.
L'ensemble se dérobe à l’œil qui l'étudie.
Toi, l'homme, règne en bas ; la terre est à tes yeux ;
Abdique du côté du ciel mystérieux ;
La chair rampe et te tient ; ne crois pas que tu puisses
Aller battre de l'aile en ces noirs précipices.
L'homme, rayon lui-même et miracle, si Dieu
Lui laissait voir la vie et le profond ciel bleu,
Éperdu ne pourrait supporter le spectacle
De toute la lumière et de tout le miracle.
Chaque globe a son jour dont il a le secret,
Son soleil dont il vit, dont un autre mourait.
Selon la quantité d'ombre qui les mélange,
Ils penchent vers la brute ou se dressent vers l'ange ;
Ils sont enfers ou ciels, saturnes ou soleils.
C'est par le seul regard de Dieu qu'ils sont pareil.
Contente-toi du jour que ton œil voit éclore.
Oh ! ne va pas chercher l'effroi d'une autre aurore,
Qui te semblerait hors du possible des cieux,
Et qui te paraîtrait un rayon factieux,
Une punition, une hydre, une colère,
Quoique paisible et douce aux être qu'elle éclaire !
Oh ! tout est merveilleux. Mais, dans l'immensité,
Malheur à qui poursuit la terrible beauté !
Insensé qui s'en va, fût-il Dante ou Virgile,
Tâchant de regarder avec des yeux d'argile
La sinistre splendeur du prodige infini !
L'effrayant ciel où luit l'astre jamais terni
Se refuse et se ferme aux songeurs par clémence.
Ah ! malheur sur ta tête, et terreur et démence
Su toi, frêle penseur, le jour où tu romprais
Ton ban jusqu'à scruter d'autre sphères de près !
Toi-même tu l'as dit, rien qu'en voyant sans voile
Dans sa réalité formidable, une étoile,
L'homme se dissoudrait, frissonnant, ébloui,
Hagard, car chaque monde est un gouffre inouï.
Non, tu ne peux rêver, quelque effort que tu fasses,
Ces sphères dont l'azur peint les vagues surfaces
Et dont l'éloignement est le sombre doreur.
Tout être, pris à part, est pour l'autre l'horreur.
Un mystère devant l'autre mystère tremble.
Quant au lien qui joint tous les mondes ensemble,
Qui mêle l'être à l'être, et fait de toutes parts
Une harmonie avec tous ces monstres épars,
Quant à l'accord profond, loi suprême et bénie,
Qui fait que tout se tient dans la sphère infinie,
A travers les espaces et les éternité,
il est ; mais il échappe aux êtres limités
Dont la foule au hasard naît et meurt, sort et rentre ;
Pour voir tous les rayons il faut être le centre ;
Dieu seul voit l'unité de la création.