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8 juillet 2012 7 08 /07 /juillet /2012 11:48

Nous entendons par ce terme de « psychologisme » le parti pris de tout réduire à des facteurs psychologiques et de mettre en question, non seulement l'intellectuel et le spirituel, - le premier se référant à la vérité et le second à la vie en elle et par elle, – mais aussi l'esprit humain comme tel, donc sa capacité d'adéquation et, de toute évidence, son illimitation interne ou sa transcendance. Cette tendance amoindrissante et proprement subversive sévit dans tous les domaines que le scientisme prétend embrasser, mais son expression la plus aiguë est sans conteste possible la psychanalyse ; celle-ci est à la fois un aboutissement et une cause, comme c'est toujours le cas chez les idéologies profanes, telles le matérialisme et l'évolutionnisme, dont la psychanalyse est au font une ramification logique et fatale et un allié naturel.

La psychanalyse mérite doublement le qualificatif d'imposture, premièrement parce qu'elle fait semblant d'avoir découvert des faits qui étaient connus de tout temps et ne pouvaient pas ne pas l'être, et deuxièmement – et surtout – parce qu'elle s'attribue des fonctions en fait spirituelles et se pose ainsi pratiquement en religion. Ce qu'on appelle « examen de conscience » ou, chez les musulmans, « science des pensées (ilm el-khawâtir), ou « investigation » (vichara) chez les Hindous, – avec des nuances quelque peu diverses, - n'est pas autre chose qu'un analyse objective des causes proches et lointaines de nos façons d'agir ou de réagir qui se répètent automatiquement sans que nous en connaissions les motifs réels, ou sans que nous discernions le caractère réel de ces motifs. Il arrive que l'homme commette habituellement, et aveuglément, les mêmes erreurs dans les mêmes circonstances, et il le fait parce qu'il porte en lui-même, dans son subconscient, des erreurs à base d'amour propre ou des traumatismes ; or pour se guérir, l'homme doit détecter ces complexes et les traduire en formules claires, il doit donc devenir conscient des erreurs subconscientes et les neutraliser au moyen d'affirmations opposées ; s'il y parvient, ses vertus seront d'autant plus lucides. C'est en ce sens que Lao-Tseu a dit : « Sentir une maladie, c'est ne plus l'avoir », et la Loi de Manou : « Il n'y pas d'eau lustrale pareille à la connaissance », c'est-à-dire à l'objectivation par l'intelligence.

Ce qui est nouveau dans la psychanalyse et qui en fait la sinistre originalité, c'est le parti pris de réduire tout réflexe ou toute disposition de l'âme à des causes mesquines et d'exclure les facteurs spirituels, d'où la tendance bien notoire de voir de la santé dans ce qui est plat et vulgaire, et de la névrose dans ce qui est noble est profond. L'homme ne peut échapper ici-bas aux épreuves et au tentations, son âme est donc forcément marquée par une certaine tourmente, à moins d'être d'une sérénité angélique – ce qui arrive dans des milieux très religieux – ou au contraire d'une inertie à toute épreuve, ce qui arrive partout ; mais la psychanalyse, au lieu de permettre à l'homme de tirer le meilleur parti de son déséquilibre naturel et en un sens providentiel, – et le meilleur parti est ce qui profite à nos fins dernières, – tend au contraire à réduire l'homme à un équilibre amorphe, un peu comme si on voulait éviter à un jeune oiseau les angoisses de l'apprentissage en lui coupant les ailes. Analogiquement parlant, quand un homme s'inquiète d'une inondation et cherche le moyen de lui échapper, la psychanalyse dissoudra l'inquiétude et laissera le patient se noyer ; ou encore, au lieu d'abolir le péché, elle abolira la mauvaise conscience, ce qui permet d'aller sereinement en enfer. Ce n'est pas à dire qu'il n'arrive jamais qu'un psychanalyste découvre et dissolve un complexe dangereux sans pour autant ruiner le patient ; mais c'est du principe qu'il s'agit ici, dont les périls et les erreurs l'emportent infiniment sur les avantages aléatoires et les vérités fragmentaires.

 

Il résulte de tout ceci que pour le psychanalyste moyen, un complexe est mauvais parce que c'est un complexe ; on ne veut pas se rendre compte qu'il est des complexes qui font honneur à l'homme ou qui lui sont naturels en vertu de sa déiformité, et qu'il est par conséquent des déséquilibres nécessaires, et appelés à trouver leur solution au-dessus de nous-mêmes et non au-dessous1. Nous ne sommes pas des substances amorphes, mais des mouvements en principe ascensionnels ; notre bonheur doit être proportionné à notre nature totale, sous peine de nous réduire à l'animalité, car un bonheur sans Dieu est précisément ce que l'homme ne supporte pas sans se perdre. Et c'est pour cela qu'un médecin de l'âme doit être un pontifex, donc un maître spirituel au sens propre et traditionnel du mot ; un professionnel profane n'a ni la capacité ni par conséquent le droit de toucher à l'âme, au-delà des difficultés élémentaires que le simple bon sens suffit à résoudre.

 

Le crime spirituel et social de la psychanalyse est donc d'usurper la place de la religion ou de la sagesse, qui est celle de Dieu, et d'éliminer de ses procédés toute considération de nos fins dernières ; c'est comme si, pouvant combattre Dieu, on s'en prenait à l'âme humaine qui lui appartient et lui est destinée, en avilissant l'image divine à défaut du Prototype. Comme toute solution esquivant le surnaturel, le psychanalyse remplace à sa façon ce qu'elle abolit : le vide qu'elle produit par ses destructions volontaires ou involontaires la dilate et la condamne à un faux infini ou à la fonction d'une pseudo-religion.

 

La psychanalyse, afin de pouvoir éclore, avait besoin d'un terrain approprié, non seulement au point de vue des idées, mais aussi à celui des phénomènes psychologiques : nous voulons dire que l'Européen, qui a toujours été un cérébral, l'est devenu infiniment davantage depuis un ou deux siècles environ ; or cette concentration de toute intelligence sur la tête a quelque chose d'excessif et d'anormal, et les hypertrophies qui en résultent ne constituent pas une supériorité, malgré leur efficacité en certains domaines.

 

Normalement, l'intelligence doit siéger, non pas dans le seul mental, mais aussi dans le cœur, et elle doit également se répartir sur le corps entier, comme c'est surtout le cas chez les hommes dits « primitifs », mais incontestablement supérieurs sous certains rapports aux ultra-civilisés ; quoi qu'il en soit, ce à quoi nous voulons en venir est que la psychanalyse est en grande partie fonction d'un déséquilibre mental plus ou moins généralisé dans un monde où la machine dicte à l'homme son rythme de vie et même, ce qui est plus grave, son âme et son esprit.

 

*

 

La psychanalyse a fait son entrée plus ou moins officielle dans le monde des « croyants », ce qui est un signe des temps ; il en résulte l'introduction, dans la soi-disant « spiritualité », d'une méthode qui est parfaitement contraire à la dignité humaine, et qui se trouve aussi en étrange contradiction avec la prétention d'être « adulte » et « émancipé ». On joue aux demi-dieux et on se traite en même temps comme des irresponsables ; à cause de la moindre dépression causée soit par une ambiance trop trépidante, soit par un genre de vie par trop contraire au bon sens, on court chez le psychiâtre dont le travail consistera à vous insuffler quelque faux optimisme ou à vous conseiller quelque péché libérateur. On ne semble pas se douter un instant qu'il n'y a qu'un seul équilibre, celui qui nous fixe en notre centre réel et en Dieu.

Un des effets les plus odieux de l'adoption du psychanalisme par les « croyants », est la disgrâce du culte de la Sainte Vierge ; ce culte ne peut que gêner une mentalité barbare qui se veut « adulte » à tout prix et qui ne croit plus qu'au trivial. Au reproche de « gynécolâtrie » ou de « complexe d’Oedipe » nous répondrons que, comme tout autre argument psychanaliste, celui-ci passe à côté du problème car la question qui se pose n'est pas de savoir quel peut être le conditionnement psychologiques d'une attitude, mais bien au contraire quel en est le résultat. Quand on nous apprend par exemple qu'un tel choisit la métaphysique à titre d' « évasion » ou de « sublimation » et à cause d'un « complexe d'infériorité » ou d'un « refoulement », cela est sans importance aucune, car béni soit le « complexe » qui est la cause occasionnelle de l'acceptation du vrai et du bien ! Mais il y a encore ceci : les modernes, fatigués qu'ils sont des douceurs artificielles que charrient leur culture et leur religiosité depuis l'époque baroque, reportent – selon leur habitude – leur aversion sur la notion même de douceur et se ferment ainsi, soit à toute une dimension spirituelle s'ils sont « croyants », soit même à toute humanité véritable, comme le montre un certain culte infantile de la grossièreté et du vacarme.

Au reste, il ne suffit pas de demander ce que vaut telle dévotion dans telles consciences, il faut demander aussi par quoi on la remplace ; car la place d'une dévotion supprimée ne reste jamais vide.

 

F. Schuon,

Résumé de métapyhsique intégrale

 

 

1« Mieux vaut pour toi qu'un seul de tes membres périsse, que si ton corps tout entier est jeté dans la géhenne. » (Math. V.29 et 30).

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