« Hâtons-nous, mes amis, voici l'heure du bain ;
Esclaves ! verser l'eau dans le vase d'airain !
Je veux offrir aux dieux une victime pure ! »
Il dit : et se plongeant dans l'urne qui murmure,
Comme fait à l'autel le sacrificateur,
Il puisa dans ses mains le flots libérateur,
Et, le versant trois fois sur son front qu'il inonde,
Trois fois sur sa poitrine en fit ruisseler l'onde ;
Puis d'un voile de pourpre en essuyant les flots,
Parfuma ses cheveux et reprit en ces mots :
« Nous oublions le dieu pour adorer ses traces !
Me préserve Apollon de blasphémer les Grâces !
Hébé versant la vie aux célestes lambris,
Le carquois de l'Amour, ni l'écharpe d'Iris,
Ni surtout de Vénus la riante ceinture
Qui d'un nœud sympathique enchaîne la nature,
Ni l'éternel Saturne, ou le grand Jupiter,
Ni tous ces dieux du ciel, de la terre et de l'air !
Tous ces êtres peuplant l'Olympe ou l'Élysée
Sont l'image de Dieu par nous divinisée,
Des lettres de son nom sur la nature écrit,
Une ombre que ce dieu jette sur notre esprit !
Àce titre divin ma raison les adore
Comme nous saluons le soleil dans l'aurore ;
Et peut-être qu'enfin tous ces dieux inventés,
Cet enfer et ce ciel par la lyre chantés,
Ne sont pas seulement des songes du génie,
Mais les brillants degrés de l'échelle infinie
Qui des être semés dans ce vaste univers
Sépare et réunit tous les astres divers.
Peut-être qu'en effet dans l'immense étendue
Dans tout ce qui se meut, une âme est répandue ?
Que ces astres brillants sur nos têtes semés
Sont des soleils vivants et des feux animés ?
Que l'Océan frappant sa rive épouvantée
Avec ses flots grondants roule une âme irritée ?
Que notre air embaumé volant dans un ciel pur
Est un esprit flottant sur des ailes d'azur ?
Que le jour est un œil qui répand la lumière ?
La nuit, une beauté qui voile la paupière ?
Et qu'en dans le ciel, sur la terre, en tout lieu,
Tout est intelligent, tout vit, tout est un dieu ?
Mais, croyez-en, amis, ma voix prête à s'éteindre,
Par delà tous ces dieux que notre peut atteindre,
Il est sous la nature, il est au fond des cieux,
Quelque chose d'obscur et de mystérieux
Que la nécessité, que la raison proclame,
Et que voit seulement la foi, cet œil de l'âme !
Contemporain des jours et de l'éternité !
Grand comme l'infini, seul comme l'unité !
Impossible à nommer ! à nos sens impalpable !
Son premier attribut c'est d'être inconcevable !
Dans les lieux, dans les temps, hier, demain, aujourd'hui,
Descendons, remontons, nous arrivons à lui !
Tout ce que vous voyez est sa toute-puissance !
Tout ce que nous pensons est sa sublime essence !
Force, amour, vérité, créateur de tout bien,
C'est le dieu de vos dieux ! C'est le seul ! c'est le mien !... »
‒ Mais le mal, dit Cébès, qui l'a créé ? - le crime :
Des coupables mortels châtiment légitime,
Sur ce globe déchu le mal et le trépas
Sont nés le même jour : Dieu ne les connaît pas !
Soit qu'un attrait fatal, une coupable flamme
Ait attiré jadis la matière vers l'âme ;
Soit plutôt que la vie, en des nœuds trop puissants
Resserrant ici-bas l'esprit avec les sens,
Les pénètre tous deux d'un amour adultère
Ils ne sont réuni que par un grand mystère !
Cette horrible union, c'est le mal : et la mort,
Remède et châtiment, la brise avec effort !
Mais à l'instant suprême où cet hymen expire,
Sur les vils éléments l'âme reprend l'empire,
Et s'envole aux rayons de l'immortalité,
Au monde du bonheur et de la vérité !
Connais-tu le chemin de ce monde invisible ?
Dit Cébès : à ton œil est-il donc accessible ?
‒ Mes amis, j'en approche, et pour le découvrir...
‒ Que fait-il ? dit Phédon. ‒ Être pur et mourir !
Dans un point de l'espace inaccessible aux hommes,
Peut-être au ciel ! peut-être aux lieux même où nous sommes,
Il est un autre monde, un élysée, au ciel,
Que ne parcourent pas de longs ruisseaux de miel,
Où les âmes des bons, de Dieu seul altérés,
D'un nectar éternel ne sont pas enivrées,
Mais où les mânes saints, les immortels esprits,
De leurs corps immolés recevoir le prix !
Ni la sombre Tempé, ni le riant Ménale,
Qu'enivre de parfums l'haleine matinale,
Ni les vallons d'Hémus, ni ces riches coteaux
Qu'enchante l'Eurotas du murmure des eaux,
Ni cette terre enfin des poètes chérie,
Qui fait aux voyageurs oublier leur patrie,
N'approchent pas encor du fortuné séjour
Où le regard de Dieu donne aux âmes le jour !
Où jamais dans la nuit ce jour divin n'expire !
Où la vie et l'amour sont l'air qu'elle respire !
Où des corps immortels ou toujours renaissants
Pour d'autres voluptés lui prêtent d'autres sens !
‒ « Quoi ! des corps dans le ciel ? La mort avec la vie ?
‒ Oui, des corps transformés que l'âme glorifie !
L'âme pour composer ces divins vêtements
Cueille en tout l’univers la fleur des éléments ;
Tout ce qu'ont de plus pur la vie et la matière,
Les rayons transparents de la douce lumière,
Les reflets nuancés des plus tendres couleurs,
Les parfums que le soir enlève au sein des fleurs,
Les bruits harmonieux que l'amoureux Zéphyre
Tire au sein de la nuit de l'onde qui soupire,
La flamme qui s'exhale en jets d'or et d'azur,
Le cristal des ruisseaux roulant dans un ciel pur,
La pourpre dont l'aurore aime à teindre ses voiles,
Et les rayons dormants des tremblantes étoiles,
Réunis et formant d'harmonieux accords,
Se mêlant sous ses doigts et composant son corps !
Et l'âme, qui jadis esclave sur la terre
À ses sens révoltés faisait en vain la guerre,
Triomphante aujourd'hui de leurs vœux impuissants,
Règne avec majesté sur le monde des sens,
Pour des plaisirs sans fin, sans fin les multiplie,
Et joue avec l'espace et le temps et la vie !
Tantôt, pour s'envoler où l'appelle un désir,
Elle aime à parfumer les ailes d'un zéphyr,
D'un rayon de l'iris en glissant les colère ;
Et du ciel aux enfers, du couchant à l'aurore,
Comme une abeille errante, elle court en tout lieu
Découvrir et baiser les ouvrages du Dieu !
Tantôt au char brillant que l'aurore lui prête
Elle attelle un coursier qu'anime la tempête ;
Et, dans ces beaux déserts de feux errants semés,
Cherchant ces grands esprits qu'elle a jadis aimés,
De soleil en soleil, de système en système,
Elle vole et se perd avec l'âme qu'elle aime,
De l'espace infini suit les vastes détours,
Et dans le sein de Dieu se retrouve toujours !
« L'âme, pour soutenir sa céleste nature,
N'emprunte pas des corps sa chastes nourriture ;
Ni le nectar coulant de la coupe d'Hébé,
Ni le parfum des fleurs par le vent dérobé,
Ni la libation en son honneur versée,
Ne sauraient nourrir l'âme : Elle vit de pensée,
De désirs satisfaits, d'amour, de sentiments,
De son être immortel immortels aliments !
Grâce à ces fruits divins que le ciel multiplie,
Elle soutient, prolonge, éternise sa vie,
Et peut, par la vertu de l'éternel amour,
Multiplier son être, et créer à son tour !
Car, ainsi que les corps, la pensée est féconde !
Un seul désir suffit pour peupler tout un monde ;
Et de même qu'un son par l'écho répété,
Multiplié sans fin, court dans l'immortalité,
Ou comme en s'étendant l'éphémère étincelle
Allume sur l'autel une flamme immortelle,
Ainsi ces êtres purs l'un vers l'autre attirés,
De l'amour créateur constamment pénétrés,
À travers l'infini se cherchent, se confondent,
D'une éternelle étreinte, en s'aimant, se fécondent !
Et des astres déserts peuplant les régions,
Prolongent dans le ciel leurs générations !
Ô célestes amours ! saints transports ! chaste flamme !
Baisers ! où sans retour l'âme se mêle à l'âme !
Où l'éternel désir, et la pure beauté,
Poussent en s'unissant un cri de volupté !
Si j'osais !.. » Mais un bruit retentit sous la voûte !
Le sage interrompu tranquillement écoute,
Et nous vers l'occident nous tournons tous les yeux :
Hélas ! C'était le jour qui s'enfuyait des cieux !
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En détournant les yeux, le serviteur des Onze
Lui tendit le poison dans la coupe de bronze ;
Socrate la reçut d'un front toujours serein,
Et comme un don sacré l'élevant dans sa main,
Sans suspendre un moment sa phrase commencée,
Avant de la vider acheva sa pensée !
Sur les flancs arrondis du vase au large bord,
Qui jamais de son sein ne versait que la mort,
L'artiste avait fondu sous un souffle de flamme
L'histoire de Psyché, ce symbole de l'âme ;
Et, symbole plus doux de l'immortalité,
Un léger papillon en ivoire sculpté,
Plongeant sa trompe avide en ces ondes immortelles,
Formait l'anse du vase, en déployant ses ailes :
Psyché, par ses parents dévouée à l'amour,
Quittant avant l'aurore un superbe séjour,
D'une pompe funèbre allait environnée
Tenter comme la mort ce divin hyménée ;
Puis, seule, assise, en pleurs, le front sur ses genoux,
Mais, sensible à ses maux, le volage zéphyre,
Comme un désir divin que le ciel nous inspire,
Essuyant d'un soupir les larmes de ses yeux,
Dormante sur sont sein l'enlevait dans les cieux !
On voyait son beau front penché sur son épaule
Livrer ses longs cheveux aux doux baisers d’Éole,
Et Zéphyr succombant sous son charmant fardeau
Lui former de ses bras un amoureux berceau,
Effleurer ses longs cils de sa brûlante haleine,
Et jaloux de l'Amour la lui rendre avec peine !
Ici, le tendre Amour sur des roses couché
Pressait entre ses bras la tremblante Psyché,
Qui d'un secret effroi ne pouvant se défendre
Recevait ses baisers sans oser les lui rendre ;
Car le céleste époux trompant son tendre amour
Toujours du lit sacré fuyait avec le jour.
Plus loin, par le désir en secret éveillée,
Et du voilà nocturne à demi dépouillée,
Sa lampe d'une main et de l'autre un poignard,
Psyché, risquant l'amour, hélas ! contre un regard,
De son époux qui dort tremblant d'être entendue,
Se penchait vers le lit, sur un pied suspendue,
Reconnaissait l'Amour, jetait un cri soudain,
Et l'on voyait trembler la lampe dans sa main !
Mais de l'huile brûlante une goutte épanchée
S'échappant par malheur de la lampe penchée
Tombait sur le sein nu de l'amant endormi ;
L’Amour impatient, s'éveillant à demi,
Contemplait tour à tour ce poignard, cette goutte...
Et fuyait indigné vers la céleste voûte !
Emblème menaçant des désirs indiscrets
Qui profanent les dieux, pour les voir de trop près !
La vierge cette fois errante sur la terre
Pleurait son jeune amant, et non plus sa misère :
Mais l'Amour à la fin de ses larmes touché
Pardonnait à sa faute, et l'heureuse Psyché
Par son céleste époux dans l'Olympe ravie,
Sur les lèvres du dieu buvant les flots de la vie,
S'avançait dans le ciel avec timidité ;
Et l'on voyait Vénus sourire à sa beauté !
Ainsi par la vertu l'âme divinisée
Revient égale aux dieux régner dans l'élysée !
Mais Socrate élevant la coupe dans ses mains,
« Offrons ! offrons d'abord aux maîtres des humains
De l'immortalité cette heureuse prémice! »
Il dit ; et vers la terre inclinant le calice
Comme pour épargner un nectar précieux,
En versa seulement deux gouttes pour les dieux ;
Et de sa lèvre avide approchant le breuvage,
Le vida fermement, sans changer de visage,
Comme un convive avant de sortir d'un festin
Qui dans sa coupe d'or verse un reste du vin,
Et pour mieux savourer le dernier jus qu'il goûte,
L'incline lentement et le boit goutte à goutte !
Puis, sur son lit de mort doucement étendu,
Il reprit aussitôt son discours suspendu :
« Espérons dans les dieux ! et croyons en notre âme !
De l'amour dans nos cœurs alimentons la flamme !
L'amour est le lien des dieux et des mortels !
La crainte ou la douleur profanent leurs autels !
Quand vient l'heureux signal de notre délivrance,
Amis ! prenons vers eux le vol de l'espérance !
Point de funèbre adieu ! point de cris ! point de pleurs :
On couronne ici-bas la victime de fleurs ;
Que de joie et d'amour notre âme couronnée
S'avance au-devant d'eux, comme à son hyménée !
Ce sont là les festons, les parfums précieux,
Les voix, les instruments, les chants mélodieux,
Dont l'âme, convoquée à ce banquet suprême,
Avant d'aller aux dieux, doit s'enchanter soi-même !
« Relevons donc ces fronts que l'effroi fait pâlir !
Ne me demandez plus s'il faut m'ensevelir ;
Sur ce corps, qui fut moi, quelle huile on doit répandre ;
Dans quel lieu,dans quelle urne il faut garder ma cendre :
Qu'importe à vous, à moi, que ce vil vêtement
De la flamme, ou des vers, devienne l'aliment ?
Qu'une froide poussière à moi jadis unie
Soit balayée aux flots ou bien aux gémonies ?
Ce corps vil composé des éléments divers
Ne sera pas plus moi qu'une vague des mers,
Qu'une feuille des bois que l'aquilon promène,
Qu'un argile pétri sous une forme humaine,
Que le feu du bûcher dans les airs exhalé,
Ou le sable mouvant dans vos chemins foulés !
Mais je laisse en partant à cette terre ingrate
Un plus noble débris de ce que fut Socrate,
Mon génie à Platon ! à vous tous mes vertus !
Mon âme aux justes dieux ! ma vie à Mélitus,
Comme au chien dévorant qui sur le seuil aboie
En quittant le festin on jette aussi sa proie !... »
Tel qu'un triste soupir de la rame et des flots
Se mêle sur les mers aux chants des matelots,
Pendant cet entretien, une funèbre plainte
Accompagnait sa voix sur le seuil de l'enceinte ;
Hélas ! c'était Myrto demandant son époux,
Que l'heure des adieux ramenait parmi nous !
L'égarement troublait sa démarche incertaine
Et suspendus aux plis de sa robe qui traîne
Deux enfants, les pieds nus, marchant à ses côtés
Suivaient en chancelant ses pas précipités !
Avec ses longs cheveux elle essuyait ses larmes ;
Mais leur trace profonde avait flétri ses charmes,
Et la mort sur ses traits répandait sa pâleur ;
On eût dit qu'en passant l'impuissante douleur
Ne pouvant de Socrate atteindre la grande âme
Avait respecté l'homme et profané la femme !
De terrer et d'amour saisie à son aspect
Elle pleurait sur lui dans un tendre respect.
Telle aux fêtes du dieu pleuré par Cithérée
Sur le corps d'Adonis la bacchante éplorée,
Partageant de Vénus les divines douleurs,
Réchauffe tendrement le marbre de ses pleurs,
De sa bouche muette avec respect l'effleure
Et paraît adorer le beau dieu qu'elle pleure !
Socrate recevant ses enfants dans ses bras,
Baisa sa joue humide et lui parla tout bas :
Nous vîmes une larme, et ce fut la dernière,
Sous ses cils abaissés rouler dans sa paupière.
Puis d'un bras défaillant offrant ses fils aux dieux :
« Je fus leur père ici ! vous l'êtes dans les cieux !
Je meurs ! mais vous vivez ! veillez sur leur enfance !
Je les lègue, ô dieux bons ! à votre providence !... »
Mais déjà le poison dans ses veines versé
Enchaînait sans son cours le flot du sang glacé :
On voyait vers le cœur comme une onde tarie
Remonter pas à pas la chaleur et la vie,
Et ses membres roidis, sans force et sans couleur,
Du marbre de Paros imitaient la pâleur ;
En vain Phédon penché sur ses pieds qu'il embrasse
Sous sa brûlante haleine en réchauffait la glace,
Son front, ses mains, ses pieds se glaçaient sous nos doigts !
Il ne nous restait plus que son âme et sa voix !
Semblable au bloc divin d'où sortit Galathée
Quand une âme immortelle à l'Olympe empruntée
Descendant dans le marbre à la voix d'un amant
Fait palpiter son cœur d'un premier sentiment,
Et qu'ouvrant sa paupière au jour qui vient d'éclore
Elle n'est plus un marbre et n'est pas femme encore !
Était-ce de la mort la pâle majesté ?
Ou le premier rayon de l'immortalité ?
Mais son front rayonnant d'une beauté sublime
Brillait comme l'aurore aux sommets de Didyme,
Et nos yeux qui cherchaient à saisir son adieu
Se détournaient de crainte et croyaient voir un dieu !
Quelquefois l’œil au ciel il rêvait en silence,
Puis déroulant les flots de sa sainte éloquence,
Comme un homme enivré du doux jus de raisin,
Brisant cent fois le fil de ses discours sans fin,
Ou comme Orphée errant dans les demeures sombres,
En mots entrecoupés il parlait à des ombres !
« Courbez-vous, disait-il, cyprès d'Académus !
Que la vague en frappant le marbre du Pirée
Jette avec son écume une voix éplorée,
Les dieux l'ont rappelé ! ne l'ont rappelé ! ne le savez-vous pas ?...
Mais, ses amis en deuil, où portent-ils leurs pas ?
Voilà Platon ! Cébès, ses enfants, et sa femme !
Voilà son cher Phédon cet enfant de son âme !
Ils vont d'un pas furtif aux lueurs de Phœbé
Pleurer sur un cercueil aux regards dérobé,
Et penchés sur mon urne, ils paraissent attendre
Que la voix qu'ils aimaient sorte encor de ma cendre ?
Oui : je vais parler, mais ! comme autrefois
Quand penchés sur mon lit vous aspiriez ma voix !...
Mais que ce temps est loin ! et qu'une courte absence
Entre eux et moi, grands dieux ! a jeté de distance !
Vous qui cherchez si loin la trace de mes pas,
Levez les yeux ! voyez !...ils ne m'entendent pas !
Pourquoi ce deuil ? Pourquoi ces pleurs dont tu t'inondes ?
Épargne au moins, Myrto, tes longues tresses blondes !
Tourne vers moi tes yeux de larmes essuyés ;
Myrto ! Platon, Cébès ! Amis !...si vous saviez !... »
« Oracles, taisez-vous ! tombez, voix du portique !
Fuyez, vaines lueurs de la sagesse antique !
Nuages colorés d'une fausse clarté,
Évanouissez-vous devant la vérité !
D'un hymen ineffable elle est prête d'éclore ;
Attendez... un, deux, trois...., quatre siècles encore,
Et ses rayons divins qui partent des déserts
D'un éclat immortel rempliront l'univers !
Et vous, ombres de Dieu qui nous voilez sa face !
Fantômes imposteurs qu'on adore à sa place !
Dieux de chair et de sang ! dieux vivants ! dieux mortels !
Vices déifiés sur d'immondes autels !
Mercure aux ailes d'or, déesse de Cythère,
Qu'adorent impunis le vol et l'adultère ;
Vous tous, grands et petits, race de Jupiter,
Qui peuplez, qui souillez les eaux, la terre et l'air !
Encore un peu de temps, et votre foule,
Roulant avec l'erreur de l'Olympe qui croule,
Fera place au dieu saint, unique, universel,
Le seul dieu que j'adore et qui n'a point d'autel !...
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Quels secrets dévoilés !... quelle vaste harmonie !...
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Mais qui donc étais-tu, mystérieux génie ?
Toi qui, voilant toujours ton visage à mes yeux,
M'as conduit parla voix jusqu'aux portes des cieux !
Toi qui m'accompagnant comme u oiseau fidèle
Caresse encor mon front du doux vent de ton aile.
Es-tu quelque Apollon de ce divin séjour ?
Ou quelque beau Mercure envoyé par l'amour ?
Tiens-tu l'arc, ou la lyre, ou l'heureux caducée ?
Ou n'es-tu, réponds-moi, qu'une sainte pensée ?...
Ah viens ! Qui que tu sois, esprit, mortel ou dieu,
Avant de recevoir mon éternel adieu
Laisse-moi découvrir, laisse-moi reconnaître
Cet ami qui m'aima, même avant que de naître !
Que je puisse en touchant au terme du chemin
Rendre grâce à mon guide et pleurer sur sa main !
Sors du voile éclatant qui te dérobe encore !
Approche !... Mais que vois-je ?... ô Verbe que j'adore !
Rayons co-éternel! Est-ce vous que je vois ?...
Voilez-vous, ou je meurs une seconde fois !
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Heureux ceux qui naîtront dans la sainte contrée
Qui baise avec respect la vague d'Érythrée !
Ils verront, les premiers, sur leur pur horizon
Se lever au matin l'astre de la raison.
Amis, vers l'orient tournez votre paupière,
La vérité viendra d'où nous vient la lumière !
Mais qui l'apportera ?... C'est toi, Verbe conçu !
Toi, qu'à travers les temps mes yeux ont aperçu ;
Toi, dont par l'avenir la splendeur réfléchie
Vient m'éclairer d'avance au sommet de la vie.
Tu viens ! tu vis ! tu meurs ! d'un trépas mérité !
Car la mort est le prix de toute vérité !...
Mais ta voix expirante en ce monde entendue
Comme la mienne, au moins ne sera pas perdue.
La voix qui vient du ciel n'y remontera pas ;
L'univers assoupi t'écoute, et fait un pas ;
L'énigme du destin se révèle à la terre !
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Quoi, j'avais soupçonné ce sublime mystère ?
Nombre mystérieux ! profonde trinité !
Triangle composé d'une triple unité !
Les formes, les couleurs, les sons, les nombres même,
Tout me cachait mon dieu ! Tout était son emblème !
Mais les voiles enfin pour moi sont révolus ;
Écoutez !... » Il parlait, nous ne l'entendions plus !
Cependant dans son sein son haleine oppressée
Trop faible pour prêter des sons à sa pensée,
Sur sa lèvre entr'ouverte, hélas, venait mourir,
Puis semblait tout à coup palpiter et courir :
Comme prêt à s'abattre aux rives paternelles
D'un cygne qui se pose on voit battre les ailes ;
Entre les bras d'un songe il semblait endormi.
L'intrépide Cébès penché sur notre ami,
Rappelant dans ses yeux l'âme qui s'évapore,
Jusqu'au bord du trépas l'interrogeait encore :
Dors-tu ? lui disait-il, la mort est-ce un sommeil ?
Il recueillit sa force, et dit : c'est un réveil !
‒ Ton oeil est-il voilé par des ombres funèbres ?
‒ Non : je vois un jour pur poindre dans les ténèbres !
‒ N'entends-tu pas des cris, des gémissements ? ‒ Non ;
J'entends des astres d'or qui murmurent un nom !
‒ Que sens-tu ? ‒ Ce que sent la jeune chrysalide
Quand, livrant à terre une dépouille aride,
Aux rayons de l'aurore ouvrant ses faibles yeux,
Le souffle du matin la roule dans les cieux !
‒ Ne nous trompais-tu pas ? réponds : l'âme était-elle ?...
‒ Croyez-en ce sourire, elle était immortelle !...
‒ De ce monde imparfait qu'attends-tu pour sortir ?
‒ J'attends, comme la nef, un souffle pour partir !
‒ D'où viendra-t-il ? - Du ciel ! - Encore une parole !
‒ Non ; laisse en paix mon âme, afin qu'elle s'envole ! »
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Il dit, ferma les yeux pour la dernière fois
Et resta quelque temps sans haleine et sans voix.
Un faux rayons de vie errant par intervalle
D'une pourpre mourante éclairait son front pâle.
Ainsi, dans un soir pur de l'arrière-saison,
Quand déjà le soleil a quitté l'horizon,
Un rayon oublié des ombres se dégage
Et colore en passant les flancs d'or d'un nuage ;
Enfin plus librement il semble respirer,
Et, laissant sur ses traits son doux sourire errer,
« Aux dieux libérateurs, dit-il, qu'on sacrifie !
Ils m'ont guéri ! ‒ De quoi ? dit Cébès. ‒ De la vie !... »
Puis un léger soupir de ses lèvres coula
Aussi doux que le vol d'une abeille d'Hybla !
Était-ce ?... Je ne sais ; mais pleins d'un saint dictame
Nous sentîmes en nous comme un seconde âme !...
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Comme un lis sur les eaux et que la rame incline,
Sa tête mollement penchait sur sa poitrine ;
Ses longs cils que la mort n'a fermé qu'à demi
Retombant en repos sur son œil endormi
Semblaient, comme autrefois, sous leur ombre abaissée