ÉLOGE D'URSUS
Muse, changeons de style ! assez de mots amers,
À l'adresse d'Ursus, ont pollué nos vers.
Mettons-nous à présent, comme le veut l'usage,
À tourner notre veste et, sur un ton plus sage,
Couvrons de notre encens sa haute majesté
En des vers façonnés par la seule équité.
Verse donc à mes sens ta fureur poétique
Et offrons-lui enfin quelque panégyrique.
- Gloire de notre temps, illustre pourfendeur
Des savoirs surannés et pauvres de valeur,
Quoique pour ta noblesse et ta grandeur suprême
Tout essai de louange équivaille au blasphème,
J'entreprends cependant, sur un ton timoré,
De dérouler le cours de ton règne doré.
Dès ce jour mémorable où le vote publique
Ouvrit à tes souhaits l'arène politique,
Et surtout dès ce jour où notre instruction
Se vit déchoir au pied de ton ambition,
Jamais l'oisiveté n'a pu freiner les guerres
Que livre ton ardeur aux savoirs séculaires,
Amas poussiéreux de fruits hors de saison
Qui n'ont d'autre bienfait que d'orner la raison.
Tes exploits glorieux ont produit ce miracle,
En nous débarrassant de ce dernier obstacle,
De guider les mortels vers nos premiers aïeux
Qui, vaquant aux besoins des corps impérieux,
N'avaient pour les esprits, dans l'état de nature,
Pas plus d'intérêt que toi-même n'en as cure.
Oui ! bientôt nos neveux, tels nos ancêtres muets,
Privés d'humanité par tes nobles souhaits,
Retrouveront, heureux, les cavernes paisibles
Et vivront à l'abri des sciences nuisibles.
Es-tu donc ce mortel, annoncé par Virgile,
Qui vers l'âge doré conduirait notre ville ?
Sous ton règne, en effet, nos enfants étourdis,
Privés de tout savoir, se croient au paradis !
Ils répugnent déjà à toute connaissance
Qui les pourrait priver d'une heureuse ignorance.
Et si le ciel t'accorde encore assez de jours,
S'il permet à tes vœux de poursuivre leur cours,
L'effet prodigieux de quelque loi future,
Éteignant à jamais les restes de culture,
Les incitera-t-il, lorsqu'ils seront plus grands,
À marcher à genoux et à manger des glands.
Louange donc à toi, lumière de nos âges !
Qui changes nos enfants en de futurs sauvages !