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14 mai 2018 1 14 /05 /mai /2018 07:32

Vue sous un certain angle, l'existence elle-même est un opprobre, c'est-à-dire un état de déchéance et souvent d'infortune que nous devons traverser pour des raisons que l'on ne rappellera pas ici. Or on dit à juste titre qu'il faut « boire le calice jusqu'à la lie », ou boire l'opprobre jusqu'à la lie ; il faut, dit-on sagement, agréer, pour ainsi dire, cet opprobre et le consommer jusqu'à la dernière goutte, jusqu'à la lie. Mais pourquoi ? Pourquoi ne pas y mettre un terme, cesser de boire avant la dernière goutte, avant que la lie épaisse ne s'écoule dans notre gorge ? Pourquoi vivre impérativement les épreuves de l'existence jusqu'à ce qu'elles se dénouent et l'existence elle-même jusqu'à la mort alors que l'on peut à tout moment esquiver, fuir, baisser les bras ou, dans des cas extrêmes, s'infliger la mort ?

Dans un cours d'eau, tout ce qui est « léger » coule aisément avec le courant, seuls les éléments d'une certaine épaisseur, d'un certain poids ou densité ne sont pas portés par l'eau et finissent par se reposer dans les obscures profondeurs. Ces éléments constituent la lie, matière lourde, opaque et insidieuse. Il en va de même pour les épreuves de la vie et pour l'existence elle-même d'une certaine façon. Les événements ordinaires coulent relativement bien, comme les matières légères dans le courant ; qu'il s'agisse de légers bonheurs ou de malheurs modérés, tout se vit et passe avec plus ou moins d'aisance et s'oublie bientôt. Seuls les événements qui présentent une certaine gravité, c'est-à-dire lourdeur, ou quelque importance particulière, refusent de se laisser porter par le courant de la vie et s'entassent immanquablement dans le lit du fleuve que nous traversons et constituent en fin de compte la lie de notre existence. Cette lie immatérielle se forme à la fois dans les expériences particulières et dans l'existence entière et ne se découvrent respectivement qu'à la fin de telle expérience et de l'existence elle-même.

S'il est donc important de boire le calice jusqu'à la lie, c'est parce que si l'on ne le boit pas entièrement, l'on reste sur « la fin »... Insistons : on reste sur LA FIN, et comme on « reste sur la fin », on ne vit pas cette fin et ce sentiment d'inachèvement, que l'on en ait conscience ou non, fait que nous aurons toujours faim et que nous redemanderons, inconsciemment, d'autres expériences semblables et d'autres existences. Or le but est de « mourir avant de mourir »... C'est dans la « lie » que l'on trouve les « éléments importants », l'essentiel même, pourrait-on dire... peut-être que la lie opaque a des saveurs étonnantes, une essence enivrante, quelque beauté transcendante qui se dissimule sous la laideur apparente... Il faut boire l'opprobre jusqu'à la lie, il faut boire le calice jusqu'à la lie ! Le calice devient délice et l'opprobre devient Eau propre, c'est-à-dire pure miséricorde... !

 

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