Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
10 août 2016 3 10 /08 /août /2016 13:08

Voilà un grand mot, un de ces mots lourds et magiques que l'on jette pour en imposer à l'interlocuteur quand ce n'est pas pour justifier quelque point de vue suspect ou fomenter la discorde entre les hommes. Mais quand on le regarde de près, quand on cherche à l'appréhender, à le disséquer pour l'entendre sous le voile de fausse majesté dont il est couvert, on s'aperçoit qu'il est très problématique, comme de nombreux autres mots et notions inventés ou déifiés par la modernité.

 

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce mot est relativement récent. Il n'est apparu en effet dans la langue française qu'au XVIIIe siècle, le Siècle de Ténèbres, et dans sa première occurrence, en 1721, il n'avait pas du tout le sens qu'il a progressivement pris au cours de ce même siècle pour englober enfin le flou sémantique actuel. Dans son premier emploi, le mot désigne, selon le Trésor de la langue française, « le jugement qui rend civil un procès criminel ». Au cours de décennies suivantes, on a d'abord appliqué ce mot à ce « qui rend les individus plus sociables » (1751), ensuite au « processus historique d'évolution sociale et culturelle » (1760) et finalement au « stade d'évolution matérielle, sociale et culturelle auquel tend l'humanité » (1767).

 

L'on pourrait s'arrêter là un instant pour réfléchir sur ces acceptions, parce qu'elles renferment déjà un certain nombre d'idées, de postulats et de sous-entendus malins aisément récusables, mais le mot est surtout intéressant dans la définition actuelle : « Fait pour un peuple de quitter une condition primitive (un état de nature) pour progresser dans le domaine des mœurs, des connaissance, des idées ». Le premier problème intervient à ce stade. Cette définition, issue d'un dictionnaire digne de foi et admise par bon nombre de locuteurs, repose à l'évidence sur une idée parfaitement absurde du point de vue traditionnel. En considérant les peuples comme des entités initialement sauvages, vivant dans un « état de nature », elle sous-entend et approuve la théorie de l'évolution laquelle considère nos lointains aïeux comme des espèces de sous-hommes intellectuellement bien plus limités que nous et vivant en effet à la manière des animaux. Cette sottise évolutionniste rend le mot « civilisation » tout à fait ridicule, illégitime et le rejette donc même de l'usage. Un mot qui véhicule une absurdité ne peut effleurer la langue de ceux qui sont soucieux du vrai et conscient de l'importance des mots. Dans ce sens donc, « civilisation » est un mot qui ne désigne aucune réalité, il n'a été promu par l'esprit du colonialisme que dans le but de justifier la barbarie à laquelle il se livrait en s'attribuant une fausse supériorité intellectuelle tout en rabaissant les autres peuples de la terre jusqu'à les considérer comme des animaux qu'il prétendait vouloir « civiliser ». D'ailleurs, c'est à cause de cette fausseté radicale de l'idée que le mot véhicule qu'il n'a pas son équivalent dans les autres autres, du moins à ma connaissance.

 

Mais ce bref examen sémantique n'est pas satisfaisant parce que, si l'on s'arrête à cette définition, l'on ne comprend pas son application à des entités historiques considérées comme des ensembles humains partageant une somme de valeurs et une certaine manière de vivre. En d'autres termes, dans des expressions telles que « civilisation égyptienne », « chrétienne », « romaine » et caetera, le mot « civilisation » ne peut avoir le sens précité, car l'on sait positivement que ces entités, avant leur émergence, ne vivaient pas dans « un état de nature ». Que veut-on dire alors quand on emploie de telles expressions ? Qu'est-ce que désigne le mot en question en pareil cas ? En l'espèce, le dictionnaire ne vient plus résoudre la question, et voilà le second sérieux problème que pose l'usage de ce mot indéfini. Si l'on voulait y voir plus clair, il faudrait parcourir rapidement les « civilisations » tour à tour et tâcher de relever les éléments constitutifs que l'on trouverait dans chacune d'entre elles.

 

Quel serait le résultat d'un tel examen ? L'on remarquerait d'emblée ces deux évidences : premièrement, toutes les civilisations, à condition d'être assez connues par notre histoire pour être examinées, ont obligatoirement un fondateur (qui ne peut être précisément connu pour ce qui concerne les civilisations dont les origines se perdent littéralement dans la nuit des temps), une doctrine (religieuse-métaphysique) et une langue. Le manque de données historiques fait que l'on serait incapable de déterminer exactement chacun de ces trois éléments pour les civilisations dont on a gardé des traces, mais, globalement, l'on a suffisamment d'indices pour en affirmer l'existence. Dans le cas romain, par exemple, en dépit des informations précises sur l'aspect religieux, on est incapable de comprendre précisément ce en quoi consistait la doctrine ; cependant, l'on sait pertinemment qui a fondé cette civilisation et la langue qui a été sienne. Dans d'autres cas, en revanches, l'on connaît précisément à la fois le fondateur, la doctrine et la langue de son rayonnement.

 

Deuxièmement, la « civilisation moderne », n'ayant aucun de ces éléments constitutifs, n'est tout simplement pas une « civilisation » à proprement parler. Si on la tient pour telle, il faudra alors logiquement admettre qu'aucun des autres ensembles que l'on désigne par ce terme ne l'est en réalité. L'on ne peut appliquer un même mot à deux notions qui n'ont rien de commun, puisque la « civilisation moderne », en plus du fait qu'elle n'a, contrairement aux autres, ni fondateur, ni doctrine, ni langue précise, est radicalement différente de toutes les civilisations plus ou moins connues à la fois par ses origines obscures, par les idées qu'elle véhicule et par ses aspirations... D'un côté, en deux mots, l'on a toujours l'expression d'une doctrine salvatrice à travers un homme et par la volonté divine, de l'autre l'on a un ensemble de fausses valeurs, d'idées boiteuses et de théories dévastatrices. En d'autres termes, je ne vois pas comment on peut appliquer un même mot à la fois aux rappels divins et au souffle du Malin...

 

Ce ne sont que des mots, peut-on dire, il est inutile d'y faire attention et de s'embêter pour de simples questions de terminologie. Le problème est qu'en donnant le mot à la fois aux civilisations authentiques, aux traditions authentiques (en sommes, le mot le plus adéquat pour désigner les « civilisations » est « tradition ») et à la modernité, on met les deux réalités sur un pied d'égalité... ce qui veut dire : soit sanctification de la modernité soit dénaturation des traditions et là, on comprend qu'il ne s'agit plus d'une simple querelle sémantique...

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Ignarus Bactrianus
  • : Spiritualité, religions, littérature, diverses
  • Contact

Recherche

Liens