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11 juillet 2016 1 11 /07 /juillet /2016 16:13

از حادثهٔ جهان زاینده مترس
وز هرچه رسد چو نیست پاینده مترس
این یکدم عمر را غنیمت میدان
از رفته میندیش وز آینده مترس

Mawlânâ Rûmi Balkhi
 

Ne crains pas les produits de ce monde fertile,

Ni tout ce qui arrive et se trouve effacé ;

Tiens ce fugace instant pour un butin ductile,

Sans craindre l'avenir, ni songer au passé.

 

Traduction littérale :

Ne crains pas les phénomènes du monde productif
Et ne crains pas tout ce qui arrive et n'est pas permanent
Considère ta brève existence terrestre comme un butin
Et ne songe pas au passé et ne crains pas l'avenir

 

Mots-clefs et observations : 

Il est particulièrement difficile de traduire de la poésie, il l'est davantage lorsqu'il s'agit de poésie spirituelle, mais la difficulté s'accroît encore plus si le traducteur tente respecter les règles élémentaires de la versification. En somme, la traduction fidèle et poétique d'une œuvre poétique est chose impossible. Que l'on me pardonne donc pour les légères modifications que j'ai dû apporter à ce quatrain de Mawlânâ. Mon souhait était avant tout de traduire l'idée du quatrain et j'espère n'avoir pas échoué dans ma tentative en passant du dari au français.

  • « zayenda » : « qui enfante ». Le propre du « monde » est en effet de « produire », de « manifester » des possibilités et des reflets d'archétypes spirituels. D'ailleurs le mot « existence » indique étymologiquement cette idée de « production » ou de « manifestation ». En effet, « exister », du latin « exsistere », signifie « sortir de », « procéder de », « venir de ».

    Voilà une preuve évidente et linguistique – les langues ne sont pas les produits du hasard... – du Principe et une indication métaphysique quant à la raison d'être de l'univers.
     

  • « hâdessa » : « événement », «phénomène ». Ce mot comprend l'ensemble des phénomènes qui se manifestent dans l'univers, mais il met bien évidemment l'accent sur les phénomènes qui touchent plus ou moins directement les hommes et qui seraient susceptibles de susciter quelque effroi en eux.

     

  • « pâyenda », « qui dure ». Le vers deux signifie, très littéralement : « et de tout ce qui arrive, étant donné que ce n'est pas durable, n'aie pas peur ». A quoi bon craindre ce qui ne fait que passer ?

     

  • « damé 'omr » : « dam » veut dire « souffle », « instant », « moment » et « 'omr » signifie « vie », « durée de la vie » ; « damé 'omr », littéralement, serait « le souffle de vie ». L'expression désigne ordinairement la vie en accentuant sa brièveté. L'existence est brève à la fois relativement et absolument. Elle est d'abord brève par rapport à l'âge du monde, si j'ose dire, et ensuite par sa nature même. De fait, l'existence réelle est rigoureusement limitée au « souffle de vie » précisément, à « l'instant » dans le sens le plus restreint qu'on puisse assigner à ce mot, au « présent » fugace. (Ce « présent », l'instant, est aussi un présent...on en retrouve l'idée dans le mot « butin » au vers trois.) Étant donné que le passé n'est plus et que l'avenir, même l'immédiat, n'est pas garanti, la vie se résume effectivement à l'instant présent, « au souffle de vie ».

     

  • « ghanîmat » : « butin ». Ce mot me semble lourdement chargé de sens en l'occurrence... Ne pouvant ici entrer dans le détail, je donne ces quelques informations qu'il est susceptible de fournir. La vie est un « butin ». Que peut-on en déduire ?

    Le terme implique tout d'abord, disons-le avec une extrême neutralité et prudence, une « situation antérieure » à l'existence terrestre ou, comme dirait Guénon, un « état d'existence » antérieur à celui que nous vivons. Il est évident qu'il ne peut y avoir de « butin » si, en termes guerriers, nous n'avons pas livré combat auparavant en sortant vainqueur...(Cela pourrait donner matière à réflexion et à recherche, pour ceux qui s'y intéressent, relativement au sens métaphysique de l'existence, à notre raison d'être ici-bas, à notre statut privilégié d'humain et, conséquemment, aux autres « statuts » existants ou « degrés d'existence » ainsi qu'à bien d'autres questions fondamentales.)

    Il indique ensuite le caractère privilégié de notre état humain. Le butin, chose précieuse, n'échoit pas à quiconque. C'est une récompense, accordée à ceux qui ont guerroyé victorieusement sur le champ de bataille. (Le butin est un présent et ce présent est le présent.) En conséquence, si « le souffle de vie » est un « butin », il est, pour dire le moins, profitable, mérité et sacré.

    Enfin, si l'on se conforme à cette métaphore, on y voit aussi une indication par rapport à la liberté relative de l'homme. De même que nous disposons librement de notre butin, de même disposons-nous, avec une liberté relativement dont découle le salut ou la perte, de la vie qui nous est accordée. Cette liberté partielle, mais perfectible à travers la soumission à la volonté divine, touche essentiellement le domaine intellectuel, ou spirituel, et pourrait se résumer à celle de « se sauver » conformément à la Tradition ou « à se perdre » en niant celle-ci ou en la négligeant. Cela étant, j'ai ajouté le mot « ductile », non seulement pour des raisons métriques, mais aussi pour mettre en exergue cette part de liberté qui détermine les destinées futures de l'homme. Le butin est « ductile (peut être travaillé, influencé) en ce sens que nous avons la possibilité de le travailler à notre guise, de la mener selon notre volonté et que les possibilités de choix ne manquent jamais : « A côté de la difficulté est, certes, une facilité! A côté de la difficulté est, certes, une facilité! » (Coran, 94, 5-6).

     

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